Din dooong!

Le ciel était d'un bleu pur comme on en voyait peu souvent dans la capitale française. Pas celui accompagné de cet étrange voile grisâtre qui était quasiment devenu un élément tout à fait normal et naturel dans le paysage citadin…Non, un joli bleu vif et limpide, comme si on avait récemment décidé que le ciel était la toile à peinture d'un enfant à la découverte des couleurs, ou que le ciel austral s'était soudainement invité au-dessus de Paris.
Il y avait aussi des nuages. De gros morceaux de coton tellement nimbés de lumière qu'ils en devenaient pénibles à regarder. Il y en avait un avec une forme d'oiseau dodu, et plus loin un chasseur muni d'une lance étrangement tordue, perdu au milieu de petites collines.

Bien en-dessous des fresques moutonneuses des nuées, Paris émergeait courageusement de la douce torpeur estivale pour engager une nouvelle matinée. La capitale avait été presque désertée de ses habitants, et ceux-là semblaient avoir été relayés par autant de touristes qui déambulaient en petites poignées enthousiastes dans les grandes avenues. Tout était calme, paisible. La chaleur grimpante taisait déjà toutes les voix, faisait s'étendre les stores colorés des cafés et soupirer les créatures asservies qui supportaient difficilement les températures trop élevées. Mais ce n'était pas une vérité absolue.

"Pin pa ni caille le Roi des Papillons se faisant la barbe se coupa le mentooon…!"

Une petite voix fluette et chantante s'élevait dans l'air engourdi de ce samedi matin, scandant légèrement et avec une insouciance manifeste sa comptine.
Les pavillons se suivaient sur une large et agréable ruelle déserte de toute voiture à cette heure de la matinée. Des murets, des grilles, des clôtures… Toutes les maisons voulaient se différencier tout en restant concrètement semblables dans leur architecture. Mais ce qui était sans doute le plus plaisant, c'était les arbres et les plantes qui laissaient éclater leurs palettes de couleurs durant la saison chaude.

"Un, deux, trois –de boiiiis!"

Sautillant sur une marelle imaginaire qui se dessinait sur le trottoir devant lui, Casey récitait toujours avec entrain sa chansonnette. Il avait beau avoir atteint ses onze ans, il n'en gardait pas moins la mentalité d'un gamin de six ans, tout au plus.

"Quatre, cinq, six –de buiiis!"

L'été aidant, le corps juvénile du Chaton était encore plus court-vêtu que d'habitude. Par un accès d'incommensurable mansuétude, son maître avait pourvu la maigre garde-robe de son serviteur de quelques vêtements qui s'accommodaient mieux à sa taille –il avait grandit d'un ridicule demi-centimètre, mais le problème se situait au niveau de son poids, car il avait beaucoup maigrit ces derniers temps. Il arborait donc un débardeur noir flottant presque sur son torse légèrement doré par ses journées passées au soleil à jardiner, et un short de jean délavé dont la petitesse avait fait sourciller quelques bonnes femmes croisées en chemin. Sa queue préhensible ondulait tranquillement dans son dos, alors que le garçonnet continuait son jeux de jambes sur le béton lisse du trottoir. Ses cheveux blonds étaient ramassés en queue de cheval, mais d'éternelles mèches venaient chatouiller son front et ses joues déjà rosées par son dynamisme que l'été ne parvenait pas à terrasser. Il était presque inutile de dire que Casey avait l'air enjoué, parce qu'il l'était souvent dès que son maître lui permettait une sortie.
En l'occurrence, Shift lui avait confié quelques dossiers à remettre à sa supérieure, et le petit blond jouait donc les coursiers dans un quartier résidentiel prisé de la capitale…avec un sérieux assez relatif. Si en suivant scrupuleusement les indications données par son maître, et en affectant moins de frivolité, il serait arrivé en une petite demi-heure chez Madame Jadenoire. Cependant, le Chaton semblait dépenser le double de l'énergie nécessaire à ce parcours, sautillant, chantonnant, et folâtrant comme un papillon dans les ruelles baignées de lumière solaire, et sa sortie s'éternisait pour son plus grand plaisir. Monsieur Shift était allé travailler à la clinique vétérinaire, et il ne reviendrait pas avant la tombée du soir…

"Sept, huit, neuf –de bœuf!"

Les fameux dossiers sous chemise soigneusement calés sous son bras, Casey observait laborieusement le post-it qu'il tenait dans son autre main, ne sachant pas très bien discerner les traits dessinés par son maître à cause de ses sauts –et l'idée de s'arrêter pour consulter cette carte ne lui effleurait même pas l'esprit.
Par hasard ou par chance, il approchait de son but. Il prit soin de vérifier comme le lui avait indiqué monsieur Shift le nom figurant sur la boîte aux lettres. "Jadenoire C.", c'était bien ça!

Très fier d'avoir accompli le premier pas de sa mission ultra-confidentielle et ultra-périlleuse, il sauta à cloche-pied les quelques marches menant au perron de la porte, en scandant avec application:

"Dix, onze, douze –de bouse….Vaaaa….t'en- à Tou….louuuuuuu-seuh!"

S'il avait bien suivit les paroles de son maître, son supérieur était une madame. Dansant d'un pied à l'autre, il fourra son plan dans l'étroite poche de son short avant d'étendre sa main à nouveau libre vers la sonnette. Une sonnette désespérément haute-placée, soit dit en passant. Mais il parvint tout de même à appuyer sur le bouton. Deux fois, parce que c'était rigolo d'entendre le petit tintement qui jaillissait aussitôt au-delà de la porte.

[C'est là que je regrette qu'il y ait pas les même pitits démons d'Hollow Dream...XD tant pis celui-là fera l'affaire, Algolinou-chou]

[ XD Pas besoin de smileys démons: tu ES démoniaque!...]


Eté. Soleil. Pluie de lumière et de chaleur dont les humains étaient prompts à se plaindre, mais qui serait amèrement regrettée lorsque l'hiver reviendrait draper la capitale de givre. Alors les Parisiens et les touristes faisaient bonne figure, se rendaient au parc ou sur les bords de Seine. Les serviettes s'étalaient sur l'herbe et les pavés, les transats se dépliaient devant les maisons de la banlieue résidentielle. Et malgré la chaleur excessive, malgré les coups de soleil, l'émotion qui se répandait dans l'atmosphère ressemblait fort à du bien-être.

"Saloperie de soleil..."

Bon, pas pour tout le monde apparemment.

"Je HAIS l'été..."

Dans le rôle du léopard grincheux, je demande Algol. Vautré sur le matelas qui faisait l'angle de sa cage, en caleçon et chemise ouverte, le félin extériorisait de son mieux la détestable sensation d'étouffement qui l'oppressait. Ses paupières mi-closes étaient fixées sur le plafond clair, et de temps à autre une main fatiguée venait éponger son front dégoulinant de sueur. Son collier le démangeait et lui tenait effroyablement chaud. Il était croisé avec un animal de l'Himalaya, l'Himalaya bon Dieu, pas le Sahara!

Algol avait toujours eu du mal à être heureux en été. Généralement, il passait le plus clair de son temps sur un toit ombragé, à faire la sieste. Ou alors il restait dans les frais souterrains de la Thianra, à subir les moqueries de Noah (veinard de tigre...). Mais là... Le léopard des neiges pivota sur le ventre, et son regard terne se posa sur la fenêtre qui donnait sur la rue. Comme il pouvait haïr ces vitres qui le narguaient, qui lui montrait en ricanant cet extérieur qu'il n'avait plus le droit d'atteindre... Depuis que Catelyn l'avait enfermé, Algol avait toujours eu la sensation d'avoir du mal à respirer, chaleur ou pas. Et avec cette canicule, l'air confiné de la petite pièce commençait à prendre des airs d'antichambre de l'Enfer.

L'ancien sous-chef ferma lentement les yeux, et un soupir douloureux s'échappa de sa poitrine. Combien de temps encore devrait-il rester dans cette cage atrocement petite?... Deux mètres sur deux, ce n'était pas un espace vital, ce n'était même pas un espace tout court. Oh, Catelyn n'était pas inutilement sadique. Elle le laissait sortir, parfois. Mais jamais lorsqu'elle s'absentait - et elle partait pratiquement tous les jours, gérer ces Arnaiths que Algol ne se lasserait jamais de maudire. Alors c'était des heures et des heures à attendre, allongé dans cette ambiance de four, avec deux pauvres bouteilles d'eau qui se réchauffaient tranquillement dans un coin de sa cage. Jamais au court de ses précédents mois de captivité le léopard ne s'était senti si misérable. Là, il avait vraiment l'air d'un animal de compagnie qu'on abandonne sans scrupule dans une voiture en plein soleil.

Et Opale qui ne venait presque pas... La dispute qu'elle avait eu avec Catelyn avait laissé des traces douloureuses, et les visites de la jeune femme ne s'éternisaient jamais. Algol s'en voulait d'avoir malgré lui gâché l'amitié entre les deux Arnaiths, il s'en voulait terriblement. Opale était paralysée par la culpabilité et les regrets dès qu'elle mettait les pieds chez Catelyn, et le jeune félin ne pouvait absolument rien y faire. Elle lui manquait terriblement.

Une petite voix fluette, qui semblait contenir toute la joie défunte d'Algol. Le léopard des neiges rouvrit difficilement les paupières et se redressa sur les coudes, son regard embué à nouveau fixé sur la fenêtre entrouverte - Catelyn avait pris le risque d'ouvrir le velux en balancier pour ne pas retrouver son charmant gros chat à moitié mort de chaud. L'ancien sous-chef écouta attentivement, et il entendit à nouveau la gentille comptine qui s'élevait sur le trottoir, non loin du perron. Un gamin, un garçon certainement. Un gamin qui était dehors.

Algol allait laisser retomber sa tête sur le matelas lorsque la sonnette le fit sursauter. Qui donc pouvait venir chez Catelyn un mercredi en début d'après-midi, alors qu'elle travaillait systématiquement ce jour-là? Le gamin? Oui, ce devait être une blague. Le garçon sonnait, déguerpissait pour se cacher derrière la haie des voisins d'en face, et attendait que le propriétaire visé vienne ouvrir la porte et regarde aux alentours avec un air sceptique tout à fait risible. Mais quelque chose n'allait pas dans ce scénario: un enfant qui fait ce genre de blague ne s'approche pas en chantant.

"Elle n'est pas là, repassez plus tard."

Puis le félin quitta son ton posé pour marmonner à sa propre intention:

"Pour l'instant, seul le gros chat est à la maison."

[arrête un peu de me flatter, grande folle ]

La porte ne s'ouvrait pas. Pourtant il avait sonné deux fois…

Casey dévisagea avec insistance la poignée de l'élégante porte, comme si elle allait engager la conversation pour lui expliquer les raisons de son immobilité. Mais au lieu d'entendre le probable timbre grinçant de la porte en question, ce fut une voix placide qui s'éleva depuis l'intérieur de la maison.
Les oreilles félines du coursier se dressèrent de surprise au-dessus de sa tête, alors que ses yeux dorés s'écarquillaient sensiblement.

"Elle n'est pas là, repassez plus tard."

Mais…zuteuh…!
Monsieur La-voix-de-l'intérieur était formel...mais était-ce alors un système ultra perfectionné pour accueillir les invités?! Un fantôme qui jouait les majordomes par ennui?!!!
Le Chaton afficha tout de même une bouille contrariée et timorée, sans cesser de fredonner sa comptine avec des accents plus lents qui soulignaient sa pause méditative. Sa queue décrivait des boucles tout en frôlant délicatement ses cuisses nues, et ses petits doigts pianotaient sur la chemise brune qui contenait le prétexte de sa sortie.

Plusieurs options se chamaillaient la place dans son esprit fantasque.
Un, rentrer à la maison. Mais Monsieur Shift serait fâché de voir la chemise retournée à l'envoyeur, et il ne lui confierait certainement plus de pareilles missions.
Deux, rester sur le perron jusqu'à ce que madame Jadenoire revienne. Ceci-dit, "rester sur le perron" était une simple expression pour occulter les innombrables jeux auxquels il se livrerait dans toute la rue sans jamais parvenir à l'affaiblir…ou bien il finirait par s'ennuyer et revenir à la première solution.
Trois…Faire parvenir coûte que coûte ces dossiers à la dame qui vivait ici, quitte à affronter une armée de transats épaulée par un féroce gang de parasols jaunes! Et là, toute son âme d'aventurier kamikaze criait que c'était une solution de génie qui lui vaudrait les applaudissements nourris de son maître bien-aimé.

Ses yeux dorés brillant d'une vive étincelle de détermination, Casey étendit cette fois sa main vers la poignée pour l'actionner. Non, elle était belle et bien verrouillée. Les oreilles de la petite créature frémirent brièvement, mais elle ne s'avoua pas vaincu pour autant.
Avec vivacité, il se laissa tomber à quatre pattes sur le perron, et la joue collée contre le sol à peine tiédi par l'ombre de l'auvent, expertisa le mince espace libre sous la porte. Il y approcha prudemment les documents, espérant pouvoir les y glisser sans trop de mal.
Un quelconque promeneur passant à cet instant précis devant la maison de la Chef des Arnaith aurait remarqué l'extrémité caudale d'une étrange créature s'abaisser soudainement devant la déconvenue qui la frappait.
Casey se redressa sur ses genoux, serrant précieusement la chemise contre son torse en lissant un angle malmené par ses tentatives. Des tentatives qui s'étaient révélées vaines…les dossiers étaient tout juste trop épais pour qu'il puisse les glisser sous la porte, et d'ailleurs cela les aurait abîmés. Monsieur Shift avait été fabuleusement clair sur ce point: si Jadenoire venait lui faire la remarque que ses rapports étaient dans un curieux état, il "se chargerait de son cas".

Le blondinet miaula de déception, puis se redressa d'un bond souple, en observant les environs. Tout était calme, et personne n'arpentait la rue en ce moment. Une petite idée germait déjà dans l'esprit du jeune esclave, et copieusement arrosée par sa niaiserie et baignée d'un soleil nommé hardiesse, elle fleurit bientôt en un plan d'attaque des plus simples qui soit. Un plan qu'un terme technique et bien adulte saurait parfaitement définir: "Entrer par effraction".
Il comptait sur sa chance pour qu'une fenêtre ait au moins été laissée ouverte (une journée entière sous un soleil de plomb aurait tôt fait de transformer cette maison en fournaise)…il entrerait courageusement par cette dite fenêtre, et après avoir affrontée les transats et les parasols, il déposerait le Saint-Graal bien en vue pour que Madame Jadenoire les trouve dès son retour. Et tel un justicier masqué et secret comme il en avait entraperçut à la télé, personne ne saurait quel héros avait accompli cette mission hautement risquée…

Les yeux pleins d'étoiles, Casey sautilla gaiement autour le long de la maison, en débutant par la droite…
…Et Dame Chance était définitivement sa copine du jour.
La première fenêtre qu'il trouva se trouvait être entrouverte. Un peut haute pour la ridicule taille du gamin, mais il parvenait à toucher la large tablette d'appui vraisemblablement destiné à porter une jardinière, mais qui, heureusement, était libre.
Calant avec mille et une précaution un coin de la chemise entre ses dents, Casey agrippa ses petites mains au rebord de la margelle (ses pieds décollaient presque du sol), puis s'y hissa d'une seule traction, adoptant une position accroupie tout en restant suffisamment tassé sur lui-même pour ne pas se cogner contre la fenêtre. Une posture qui rappelait efficacement ses ascendances félines, car un enfant purement humain, même sportif, n'aurait pas assez de souplesse voire "d'élasticité" pour répéter la même opération.

La suite se déroula avec un peu moins de grâce. Casey lâcha prudemment son fardeau, qui alla s'échouer dans un bruit mat au pied du mur, et s'autorisa un léger soupir. Puis il commit l'erreur de vouloir observer l'intérieur de la pièce qu'il allait investir. Son regard tomba aussitôt sur la cage, mais surtout sur son occupant vautré sur un matelas. Tiens donc…
Il ne fallut pas plus longtemps pour le reconnaître, car presque aussitôt un grand sourire commença à étirer ses lèvres et éclairer son visage…

"Monsieur A…!!!"

…Sauf qu'en même temps, il redressa brusquement la tête, qui alla se cogner sévèrement contre la vitre de la fenêtre inclinée.
Cette brusque attaque du mobilier arracha un miaulement mêlant adroitement stupeur, une vague douleur mais surtout de surprise. Le chaton perdit aussitôt l'équilibre, et ce ne fut que grâce à une pichenette de Dame Chance –fidèle au poste- qu'il tomba à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur.
Mais le sol restait bas et assez dur des deux côtés…
Et de plus, ses gènes félins semblaient s'être soudainement offerts des vacances estivales. Au lieu de se rétablir dignement comme tout bon chat, sa réception tenait plus d'un roulé-boulé aussi catastrophique que lamentable du point de vue technique et esthétique.

Un tantinet secoué par son atterrissage en terra icognita, Casey se retrouva mollement assis au sol, la tête ballottante et les oreilles en berne, ses jambes dessinant des angles asynchrones.
Mais il ne lui fallut que quelques secondes pour retrouver ses esprits, et il reprit comme s'il n'avait jamais –ô grand jamais- été interrompu par une cabriole involontaire:

"Monsieur Algoooolll???!!!"

Son ton exprimait clairement sa surprise et sa joie de retrouver l'élégante créature. Il ne s'attarda guère sur les vêtements du léopard (ou plutôt sur leur absence), et contempla avec une sorte d'avidité son visage, le détaillant comme pour s'assurer que c'était bien son monsieur Algol à lui, celui qu'il avait rencontré par un affreux temps d'orage. Aucun doute! Si son visage avait pu le tromper, son parfum était bien présent et inaltérable. Monsieur Algol! Il avait souvent voulut le revoir, mais jamais il ne l'avait recroisé depuis leur première rencontre. Il ne se doutait pas que cette absence était en partie due à sa participation à la bataille Thianra/Arnaith et à son nouveau statut de créature de compagnie de Catelyn Jadenoire.

[XXXD Tu sais que je t'aime, toa? ]


Silence. Algol attendait, assis sur son matelas, bras sur les genoux. Il restait immobile et essayait de déterminer à l'oreille si le malchanceux coursier effectuait la manoeuvre élémentaire que la situation exigeait, à savoir s'approcher de la fenêtre entrouverte ou au moins crier à travers la porte afin d'en savoir plus sur ce diplômatique majordome qui le renvoyait sans même lui ouvrir. C'était ce que n'importe quel être normal aurait fait, n'est-ce pas? Mais apparemment, celui qui faisait le pied de grue sur le perron n'était pas au courant. Peut-être était-ce réellement une farce du gamin que l'ancien sous-chef avait entrevu. Parfait, il y avait encore des malades mentaux pour s'amuser par une chaleur pareille... Tout en ronchonnant de plus belle, Algol se rallongea sur le ventre, les yeux clos, son visage fin posé à même le matelas - l'oreiller était un ennemi brûlant. Pourvu que le garçon déguerpisse vite.

Bon où en était-il déjà? Ah oui, le soleil. Cet enfoiré de soleil. Combien de fois au cours des neuf derniers mois l'astre hypocrite était-il venu s'amuser aux dépends d'Algol, glissant par les vitres ses rayons enjôleurs, courant sur les murs comme pour mieux accentuer leur présence artificielle? Combien de fois le léopard des neiges avait-il tourné le dos à la fenêtre, malade de frustration à l'idée que ce démon lumineux faisait étinceler le monde extérieur alors que lui-même n'y avait pas accès? Le soleil estival faisait exprès de montrer au prisonnier ce qu'on lui avait pris, Algol en était certain; tout comme un enfant peu scrupuleux fait semblant de donner à son chat un bouchon de liège que l'animal ne saisira jamais. Des jours comme celui-là, le léopard aurait préféré que Catelyn l'achève quand elle en avait eu l'occasion. Un bon coup d'épée en travers de la gorge, et toute cette sinistre mascarade aurait pris fin dans une...

Certains événements arrivent tellement soudainement qu'on a parfois bien du mal à les relater par la suite. Ce fut exactement ce qui se passa à cet instant. Algol crut entendre un frôlement, un petit choc sourd qui signalait qu'un objet léger venait de tomber sur la moquette. Le léopard n'avait même pas déterminé s'il avait la force d'ouvrir les yeux lorsque le choc fut suivit d'un cri inarticulé, fait avec une voix rendue suraigüe par la surprise et l'excitation. Un cri qui lui-même se fondit soudain dans un douloureux bruit de collision (genre... une tête un peu creuse contre un montant de fenêtre, vous savez: CHTONG!) et un incroyable fracas (genre PATATRACRASH!) qui fit littéralement bondir le léopard des neiges sur son matelas, le propulsant sur ses pieds tandis que ses griffes jaillissaient hors de leur logement. Qu'est-ce que quoi?! Le GIGN? Les restes de la Thianra? Noah? Opale en mission commando? Des ninjas? Le Père Noël? Non, pas le Père Noël, il n'y avait pas de cheminée dans la petite pièce.

Et puis Algol le vit, tas de bras et de jambes dénudés orné d'un long serpent de couleur claire qui ondulait fièvreusement dans l'air surchauffé. Une tignasse blonde. Une oreille pointue et poilue, agitée d'un léger tic.

Lui. La Bête.

"C... Casey?"

Le tas se déméla vaguement et un immense sourire y fit son apparition, avant de reprendre le cri inarticulé précédemment évoqué:

"Monsieur Algoooolll???!!!"

Bon, d'accord, là le soleil ne se contentait plus de le faire jouer avec son bouchon en liège, il venait de lui en flanquer un grand coup sur le crâne, c'était impossible autrement. Pétrifié, l'ancien sous-chef eut très très vaguement l'idée de rentrer les griffes, mais ce fut la seule réaction que son corps lui autorisa. Il était pratiquement en sous-vêtements, enfermé dans une cage appartenant à une jeune femme qui devait avoir à peu près son âge, reclus dans une pièce dont la seule arrivée d'air était une fenêtre entrebaillée d'une vingtaine de centimètres, et l'unique boule de poils qu'il connaissait dans cette ville de cinglés (boule de poils qu'il n'avait pas revue depuis près d'un an, soit dit en passant) venait de dégringoler dans le petit salon par la susmentionnée fenêtre entrouverte. Algol se laissa retomber sur son matelas, sonné. La chaleur lui avait décidément détraqué le cerveau, c'était impossible autrement.

Il cligna fortement des yeux, secoua la tête, regarda à nouveau. Boule de Poils était encore là, avec cette même expression béate de bonheur intense. Le léopard des neiges passa une main sur son front en sueur, et un sourire incrédule vint enfin égayer ses traits tirés.

"Casey, mais qu'est-ce que tu fiches ici bonhomme? Tu... tu... tu ne devrais pas être chez ton maître?"

[Viii je sais, je sais (modestie à part: ze t'aime naussiii )

Citation :

Lui. La Bête.

L'Apocalyyyyypse approooche!!! ]

Il se fallait en général de peu de chose pour faire de Casey l'imbécile le plus heureux du monde. Un carré de chocolat, voire un verre de lait, u n mot gentil de son maître (entendez par là un mot moins méchant que les autres), des fleurs fraîchement écloses dans le jardin, des papillons, un ciel bleu, une sortie en ville, le sourire des dames dans la rue, etc…
A ajouter à cette liste: un Algol dévêtu et encagé.

La frimousse du Chaton rayonnait d'une joie palpable. Si Algol avait déjà assez de problème avec l'astre de feu décidément bien généreux ces derniers jours, là il avait affaire à un autre type soleil, autant sinon plus lumineux que l'étoile officielle.
Ne songeant même pas à adopter une position plus confortable, ou au pire moins désarticulée, Casey semblait chasser des moustiques imaginaires de sa queue, et ses oreilles hautes dressées témoignaient de ce mélange détonnant de surprise et de joie qui animait la petite créature d'une vigueur nouvelle et dévastatrice.
Il se serait bien jeté directement sur Algol, mais la petite –insignifiante- partie bien pensante de son cerveau fit remarquer qu'embrasser des barreaux n'était pas des plus agréables sensations qui soient.
Tiens, pourquoi des barreaux, au juste…?

Il fut tiré du tranquille sentier rural de ses pensées par la double question d'Algol. Qu'il ait hurlé d'une voix émue: "Casey mon chaton mamûûûûr!!!!" n'aurait pas eut plus d'effet sur le Chaton: de radieux, il passa au stade au-dessus où tous les qualificatifs du genre ne suffisaient pas à cerner avec exactitude l'état dans lequel il baignait allègrement.

D'un bond énergique, le blondinet se retrouva perché sur ses jambes maigriottes légèrement écartées, ses poings chevillés aux hanches, tel un héros victorieux de dessin animé. Il aurait tout aussi bien crapahuté énergiquement dans la pièce, cette fois dans le rôle de l'apache en manque de pluie, mais il réservait ces effusions à quand il pourrait avoir Monsieur Algol à portée de câlins. Ce qui n'était pas –encore- le cas.

"Monsiiiieur Shif il travaille aujourd'hui! ^0^ Il m'a laissé sortir pis qu'il fait super beau aujourd'hui et que…"

Sa voix enjouée et précipitée mourut subitement, alors que son expression effarée indiquait qu'il venait de penser à quelque chose d'important.
En l'occurrence, aux documents qui gisaient toujours au pied du mur, et qui étaient le seul prétexte valable qui ait pu pousser Wind Shift à laisser sa frivole sortir, contrairement à ce qu'il venait de prétendre naïvement. Bref. Casey exécuta un volte-face énergique et plongea sur la pauvre chemise brune comme s'il s'agissait d'une souris. Avec force de gloussement, et sa queue préhensible se dandinant sur un rythme de samba, l'esclave du vétérinaire se retourna d'un bloc vers Algol, avant de brandir fièrement les documents –certes, un peu froissés, un peu malmenés, et surtout secoués dans tous les sens- devant lui.

"Monsieur m'a demandé d'amener ces machins à Madame Jadenoiiiiire!!!! Elle habite bien ici, nan?"

Casey décocha un large sourire à la malheureuse créature captive, puis se rapprocha une nouvelle fois de la cage, s'accroupissant juste face aux barreaux qui le séparaient de léopard, un air candide –ou plutôt bêtement ahuri- régnant sempiternellement sur ses traits enfantins.

"C'est elle votre maîtresse, monsieur Algol? Pis que c'est aussi la patronne de mon maître, vous savez! Pourquoi vous êtes dans une cage? Il fait très beau dehors! Vous allez bien? Vous être tout mouillé…Ca fait longtemps que je vous ai pas vu!! Vous savez je vais souvent chez la madame de l'épicerie où vous m'avez emmené l'autre fois! Et pis maintenant je sais bien utiliser mes griffes dans le jardin!…"

Casey se lançait avec entrain dans un babillage joyeux ponctué de petits rires et de mouvements de mains –assez limités puisqu'il tenait toujours le Saint-Graal Shiftien. Il était si content de le revoir qu'il déballait d'un coup tout ce qu'il avait envie de lui dire sans laisser le temps à Algol de répondre à ses interminables interrogations.
Ah! Qu'elle était heureuse, la bête tant redoutée du léopard…!

[Et maintenant, passons aux choses sérieuses... ]


Le chaton qui cabriolait impunément au milieu du petit salon de la chef des Arnaiths produisait beaucoup trop de sons de manière simultanée pour les synapses surchauffées d'Algol. Le léopard observait donc sans mot dire la petite chose blonde, en la considérant avec une expression neutre qui n'était pas sans rappeler celle d'un gros félin supportant patiemment le lionceau qui escalade sa crinière pour lui mâchouiller l'oreille. Par analogie, l'oreille en question était très certainement le gilet crème soigneusement plié dans un coin de la petite cage. Algol se demanda une seconde si Casey allait courir après s'il le lançait entre les barreaux, puis il secoua violemment la tête pour remettre en place les quelques fusibles qui lui restaient.

"Casey... eh, Casey..."

Mais il en fallait plus pour stopper l'avalanche de questions et de réflexions que le blondinet déversait face aux barreaux de son Monsieur Algol. Un peu dérouté, l'ancien sous-chef se glissa le long de son matelas pour s'asseoir le plus près possible du chaton, en scrutant le sourire béat de l'intrus comme s'il allait soudain lui apporter la réponse miraculeuse aux questions qui se traînaient mollement dans son esprit fatigué.

"Casey, STOP!"

Les bras du léopard jaillirent entre les barres d'acier pour aller saisir le jeune bavard par les épaules et le secouer une seule fois, sans véritable rudesse, juste dans l'espoir d'actionner l'interrupteur "off". Le mécanisme devait être un peu détraqué, mais le chaton s'arrêta enfin de parler, et Algol lâcha un soupir de soulagement.

Bon, qu'est-ce qu'il avait compris? Shift le Zombie avait envoyé sa créature faire une commission chez Catelyn - il n'avait pas froid aux yeux... L'objet de la mission était l'enveloppe brune que Casey était en train de froisser à force de la serrer précieusement contre son coeur. Ca, c'était à peu près clair. C'était ensuite que ça se gâtait: comment le chaton avait-il eu l'idée déglinguée d'entrer dans la demeure de Miss Jadenoire, alors qu'il lui suffisait de glisser les rapports dans la boîte aux lettres? Algol dévisagea un instant la petite créature, examina brièvement le regard débordant d'amour et de bonheur béat qui lui faisait face, et la conclusion s'imposa d'elle-même: Casey était Casey. Un léger rire s'échappa de la gorge du léopard, et il se décida enfin à ébouriffer gentiment la tignasse blonde du cambrioleur amateur.

"Ca me fait plaisir que tu te souviennes de moi. Tu as grandi."

En fait, le chaton avait surtout maigri, mais ses vêtements plus appropriés à sa taille contribuaient efficacement à augmenter son apparente verticalité. En tout cas, il avait bonne mine, et son cher monsieur Shift ne semblait pas lui taper dessus. Au moins Algol était-il rassuré sur ce point.

"J'ai voulu venir te voir, tu sais, je n'ai pas oublié. Mais les choses sont devenues compliquées depuis la dernière fois que l'on s'est vus, toi et moi, et comme tu peux le constater..."

Il soupira et eut un geste abattu pour désigner l'ensemble de la cage.

"Je ne suis pas ici par plaisir. Moi aussi j'aimerais bien sortir au soleil, mais..."

Arrêt total. Les yeux dorés d'Algol s'étaient arrêtés sur la main qu'il avait laissée près du bras nu du chaton, sur cette peau si pâle posée sur le petit membre bronzé. Casey, le naïf et fantasque Casey, était dans la maison de Catelyn, sans cage, sans collier électrifié capable d'entraver ses mouvements, et la propriétaire était encore absente pour quatre ou cinq heures... D'un seul coup, le cerveau engourdi du léopard des neiges sembla se rallumer. Son regard fila vers la serrure de sa cage, puis vers le boîter accroché au mur qui permettait d'élargir le champ de sécurité de son collier. Boîtier pourvu d'un digicode qui permettait de transférer la commande d'électrocution sur la télécommande format carte de crédit que Catelyn gardait dans son portefeuille, ou qui pouvait même complètement désactiver la batterie du collier si on y tapait le code approprié. Un code qui devait bien traîner quelque part dans la maison, n'est-ce pas?...

"Casey, écoute-moi bonhomme, c'est très très important."

Du calme, surtout ne pas perdre les pédales. Si Algol affolait le chaton, il avait plus de chance de voir la maison imploser avant le coucher du soleil que de sortir de sa cage. Il posa ses deux mains bien à plat sur les épaules de Casey avant de le regarder dans les yeux.

"C'est Miss Jadenoire qui m'a enfermé dans cette cage, d'accord? Moi, je ne veux pas y rester, pas du tout. Elle n'est pas ma maîtresse, je n'ai pas envie de rester avec elle, tu comprends? J'ai envie de sortir au soleil, moi aussi, et tu peux m'y aider."

Petit sourire complice.

"Ca te dirait, une mission que moi je te donnerais? Ne t'inquiète par pour l'enveloppe de monsieur Shift, tu peux la poser là par-terre, je te promets de veiller dessus."

Il laissa passer quelques secondes, avant de faire pivoter le chaton sur lui-même et de l'attirer contre les barreaux pour pouvoir lui parler à l'oreille tout en lui montrant l'entrée de la petite pièce. Le battant était entrouvert, et Algol remercia le Ciel que Catelyn ait eu la bonté d'âme de ne pas fermer à clé cette fois-ci - le léopard comptait bien s'envoler par la fenêtre avec le courant d'air qu'elle lui avait accordé.

"Première partie de la mission: derrière cette porte, il y a un grand hall. Dans ce hall, il y a une armoire - tu vois ce que c'est une armoire, hein? Tu vas aller ouvrir cette armoire. A l'intérieur, sur la paroi de gauche... (il attrapa la main de Casey du côté approprié)... de ce côte-là, il y aura une boîte de bois un peu en hauteur. Elle est facile à ouvrir. C'est là que Catelyn garde tous les doubles de ses clés."

Algol s'apprêtait à dire qu'il voulait celle étiquetée "cage", mais il eut la salutaire impulsion de ne pas compliquer davantage les instructions.

"Tu les attrapes toutes, sans en faire tomber, attention! Et tu me les ramènes. Compris, soldat? Hall, armoire, boîte à gauche, toutes les clés."

Il était si content d'avoir retrouvé Monsieur Algol! Même si leur première et seul rencontre remontait à presque un an, le souvenir de l'élégant léopard qui lui était venu en aide un jour d'orage était resté fermement chevillée à ses pensées, s'invitant même dans son subconscient pour endosser occasionnellement le rôle du Lièvre de Mars…
Et comme s'il craignait que l'ancien sous-chef ne s'évapore comme ses rêves cotonneux, il déversait ses paroles sans que chaque phrase ait un rapport logique entre elles, voire même de sens particulier aux oreilles de l'interessé.

"Casey, STOP!"

Des mains se refermèrent sur ses épaules; pas méchamment, mais cela avait suffit à couper aussi court à son babillage pour que le Chaton adopte aussitôt une mine déconcertée, ses immenses yeux d'or braqués sur Algol comme s'il venait tout juste de s'apercevoir de sa nouvelle proximité.

"He…?"

Ressemblant à s'y méprendre à un miaulement étranglé, il dévisagea intensément son aîné en attendant une quelconque remarque ou réprimande de sa part. Monsieur Algol avait l'air pensif. En tout cas, il finit par émettre un léger rire avant de lui ébouriffer les cheveux d'un geste de main. Sous cette caresse qui lui avait terriblement manqué, Casey inclina la tête de plaisir, un ronron roulant sa gorge et un large sourire arquant la commissure de ses lèvres.
Abandonnant sa position accroupie pour se laisser glisser à genoux sur le sol, il écouta avec attention les paroles suivantes d'Algol. Des choses compliquées…? Il n'était pas là de son plein gré?
Casey fronça les sourcils, perplexe et son visage enfantin exprimant une réflexion intense. Les seules choses bizarres qu'il avait remarqué depuis sa rencontre avec monsieur Algol, c'était…c'était cette fameuse nuit où des gens avaient ramené maître Shift blessé. On pouvait dire sans exagérer que cette "nouveauté" avait plongé sa pauvre créature dans une phase de stress soutenu, et même si Wind Shift s'était remis très vite de l'affrontement avec les créatures rebelles, il n'en gardait pas un bon souvenir.
L'autre chose qui le déroutait, c'était la nouvelle captivité d'Algol. Pourquoi ces barreaux? Monsieur Algol était gentil, pourtant…Et pourquoi est-ce qu'il ne voulait pas rester avec sa maîtresse?

"Monsieur Algol…?"

Sa voix n'était plus qu'un murmure hésitant. Une petite voix lui soufflait que pour l'instant, il ne devait pas faire le fanfaron pour célébrer leurs retrouvailles, mais plutôt prêter une oreille attentive à son aîné. Pourquoi? Il ne savait pas, mais son côté félin qui percevait aisément les états de l'autre créature était formel: écoute-le, c'est important.

Comme pour confirmer sa vague impression, Algol reprit la parole d'un ton grave qui se voulait également calme.

"C'est Miss Jadenoire qui m'a enfermé dans cette cage, d'accord? Moi, je ne veux pas y rester, pas du tout. Elle n'est pas ma maîtresse, je n'ai pas envie de rester avec elle, tu comprends? J'ai envie de sortir au soleil, moi aussi, et tu peux m'y aider."

Casey battit des cils, assimilant lentement les propos du léopard tout laissant un voile d'ahurissement bêta s'emparer des traits de son visage. Pas sa maîtresse? Sortir au soleil…aider. Ces mots tournaient dans l'esprit simpliste du chaton, sans qu'il en comprenne le sens profond. Il était incapable d'imaginer une créature vivre sans un maître... C'était comme le Lapin Blanc sans sa montre!
Mais le blond sursauta presque en entendant la suite. Hein? Que? Quoi?! Une mission?! Une missiiiiiiiiiiiiiiioooonnnn!!!!
Un large sourire ravi éclaira soudainement le visage de Casey, ses yeux brillant d'une étincelle aussi vive qu'une flamme. Une mission? Ca voulait dire jouer! Monsieur Algol allait jouer avec lui!!!!
L'habitude de la solitude aidant, cette conviction fondée sur un simple et innocent petit mot prenait une dimension vertigineusement excitante. Aussi se laissa-t-il docilement manipuler par les mains de son aîné pour l'attirer vers lui.
Les instructions fournies par Algol s'insinuèrent dans son esprit pour former un schéma qui avait le mérite d'être simple, mais efficace. Hall, armoire, boîte de gauche, clefs. Roger, Sir!

Casey sembla détaler comme une fusée de la petite pièce où Algol était emprisonné. Ayant l'habitude de "jouer" en rangeant la maisonnée entière de son maître, il connaissait plus par instinct que par savoir conventionnel la configuration générale d'une maison. Hall!
Sautillant sur place comme un joggeur, il inspecta visuellement les alentours à la recherche de l'armoire en question. Bingo! Elle trônait là, accolée au mur et se dressant tel un sombre gardien du trésor des Niebelungen. Il se précipita vers elle et s'empressa d'ouvrir ses battants. A gauche?
Vérifiant où était sa gauche –cette notion était encore floue dans son esprit – il mit un peu plus de temps à repérer la boîte aux clefs.
Casey émit une exclamation victorieuse, puis se hissa péniblement sur la pointe des pieds pour l'atteindre et l'ouvrir sans trop de difficulté. Ses doigts entrèrent en contact avec le métal froid des doubles, et il en prit une première poignée. Petites, longues, épaisses, il y en avait de toute sorte, et laissait une grande place à l'imagination du garçonnet. La clef du journal intime? Celle du grenier aux merveilles? La clef du cœur?
Mettant à contre-cœur ses idées fantasques de côté, il vida consciencieusement la boîte de son contenant, et une fois ses mains en coupe pleines à ras-bord de ces clefs hétéroclites, il se précipita aussi vite que lui permettait son fardeau dans la pièce où devait l'attendre Algol.

"Monsieuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuur!!! Voilà les c…"

Manque de chance, son retour ne fut pas aussi auréolé de gloire qu'il l'aurait souhaité. S'il avait effectué avec un extraordinaire sérieux sa mission ultra-dangereuse, ultra-secrète, etc, son arrivée dans la "chambre" d'Algol fut ponctué par un malencontreux incident.
Quoi de plus contrariant que de se retrouver coupé dans son élan par une chute gratuite? Le sol devait être un peu glissant au niveau de l'entrée, ce qui ne l'avait pas vraiment gêné la première fois d'ailleurs…

Un "bonk" sonore, suivit d'une pluie de tintements clairs signalant la chute des clefs.
Casey, pour le moins hébété, ne comprit pas immédiatement ce qui lui était arrivé. Il fixa avec de grand yeux papillonnants les clefs répandues devant lui, avant de remonter légèrement le menton vers Algol, l'air perplexe.

"Clefs…" Acheva-t-il bêtement d'une voix moins claironnante que le reste de sa déclaration.

Sans se laisser abattre plus longtemps par son karma décidément amateur de chutes désagréables –je n'y peux rien, dixit Dame Chance-, Casey se redressa en position quadrupède. Sa queue préhensible se dressa en délicates ondulations, soulignant l'intérêt nouveau de la petite créature pour ce champ de bataille carrelé où gisaient les cadavres de dizaines de braves guerriers de la tribu des clefs.
Il s'empressa de les rassembler à grandes brassées, l'air enjoué. Laissez passer l'infirmier Casey, il y a des blessés en état critiiiique! Aïe, celui-là ne survivra certainement pas…
Le blondinet, une fois sa 'besogne' achevée, s'approcha plus prudemment de la cage de son aîné, et lui présenta les clefs avec un large sourire satisfait.

Comment traduire fidèlement l'étourdissante bouffée d'espoir qui monta à la tête d'Algol lorsqu'il vit le chaton détaler vers le hall? S'enfuir, bon sang, peut-être qu'il allait pouvoir s'enfuir... Là, comme ça, du jour au lendemain, simplement parce que la tête blonde la plus envahissante de Paris était assez mince pour parvenir à tomber dans l'entrebaillement d'un velux. Le léopard ne dit rien à voix haute, mais intérieurement il se promit de ne plus jamais repousser les "crâlins" de Casey - les gens heureux sont parfois d'une telle inconséquence dans leurs pensées...

En entendant le bruit grinçant produit par la porte en bois massif de la vieille armoire, Algol revint à la réalité: il n'allait pas parvenir à s'échapper en restant assis par terre, à attendre avec béatitude que son chaton favori lui ramenât les clés. Un général en caleçon n'était pas un général, foi de sous-chef. Le léopard des neiges se releva et alla attraper l'une des deux bouteilles d'eau de sa réserve pour se rincer le visage et le torse. Il fallait progresser par ordre, et ne pas se considérer libre avant l'heure - après tout, son évasion dépendait en grande partie de Casey, et réflexion faite ce n'était pas la plus merveilleuse des garanties...

Une fois plus mouillé qu'en sueur, Algol s'activa à enfiler son pantalon. Tout en bouclant sa ceinture, il réfléchissait de son mieux à la suite des évènements. Où Catelyn pouvait-elle bien dissimuler le code qui désactiverait son collier? Peut-être le gardait-elle sur elle? Non, elle aurait couru le risque inconsidéré qu'on lui volât son portefeuille avec le code à l'intérieur. L'ordinateur portable? Peut-être, mais Algol souhaitait que non - il n'avait pas la moindre idée du mot de passe de la chef des Arnaiths. Et si Casey l'aidait à carrément enlever son collier? Non, encore une fois non: la bande de cuir était toujours celle que Ophélie lui avait passée au cou, mais lorsque Catelyn l'avait capturé, la simple boucle qui fermait le collier avait été transformée en serrure sécurisée à empreintes digitales exclusives. L'enlever serait donc plutôt complexe. Mais le boîtier qui contenait l'électrode ne devait être fixé au cuir que par quelques vis et un peu de colle, il était donc possible que...

"Monsieuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuur!!! Voilà les c…"

Un lourd bruit de chute et une avalanche de tintements cristallins du plus bel effet firent tressaillir Algol, qui serra douloureusement les paupières alors qu'il fermait les derniers boutons de sa chemise: oh non... Le léopard des neiges souffla profondément, avant de tourner la tête vers la porte, un air profondément désabusé peint sur ses traits fins. Oh, quelle surpriiiiiiise, un Casey étalé au milieu des clés... L'ancien sous-chef lâcha un soupir avant de faire signe au chaton que ce n'était pas grave, qu'il n'avait qu'à les ramasser. Le blondinet n'attendit même pas l'ordre du commandement pour commencer l'opération: sa chute ne semblait pas l'avoir déconcerté plus que cela.

Algol attendit patiemment que Casey ait fini son petit ménage, et il accueillit le soldat victorieux avec un sourire qui dissimulait l'atroce petite bête qui rampait parmi ses pensées: et si la clé n'était plus dans les petites mains bronzées qui se tendaient vers lui avec dévotion?... Non, ne pas penser à une alternative aussi désespéremment cruelle. Du calme. Souris, reste calme.

"Merci Casey, c'est du bon travail."

Le léopard recueillit le fruit de l'expédition dans ses mains placées en coupe entre deux barreaux, puis il le ramena précautionneusement à lui pour l'étaler sur la moquette. Pendant quelques atroces secondes, il chercha le seul double qui l'intéressait, en s'efforçant d'ignorer les catastrophiques éventualités qui traversaient son cerveau: et si Catelyn n'avait tout bêtement pas de deuxième clé pour la cage? Et si elle ne l'avait pas laissée avec les autres? Et si Casey l'avait envoyée à l'autre bout du hall en tombant? Et si... et si...

Soudain dame Chance se décida à quitter les épaules de Casey pour s'intéresser un peu au pauvre léopard, et elle conssentit à allumer son projecteur favori, celui qui tombait sur l'objet convoité avec force étincelles, rayons de couleur et autres "Hallelujah":

"La voilà!!!"

Algol se saisit avec mille précautions de la précieuse clé, en déchiffrant avec des étoiles dans les yeux l'inscription "cage". Autant dire "liberté". Ravi, le léopard des neiges glissa le double dans sa poche arrière, avant de passer une main entre les barreaux pour aller ébouriffer avec force gratouilles les cheveux blonds de Casey.

"C'est bien bonhomme, c'est très très très bien! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis content de toi!"

En vérité, le chaton devait quand même un peu le savoir: Algol rayonnait. Au diable le léopard claustrophobe qui agonisait sur son matelas quelques minutes auparavant. La créature qui se tenait accroupie derrière les barreaux ressemblait à présent beaucoup plus au sous-chef qu'elle avait été, si on oubliait sa maigreur un peu trop prononcée et la cicatrice que sa frange laissait entrevoir de temps à autre, sur sa tempe gauche. Un coup de baguette magique qui s'appelait Espoir.

"Allez soldat, deuxième partie de la mission. Viens un peu par-là."

Algol lui fit signe de s'avancer jusqu'à l'autre côté de la cage, à savoir la porte. Le léopard se pencha pour passer encore une fois le bras à travers les limites de sa prison et désigner le boîtier noir fixé sur le mur d'en face, à deux ou trois mètres de lui.

"Tu vois ça, là-bas? C'est relié à ce machin (il tapota le cube de plastique qui ornait son propre collier) et c'est censé m'empêcher de sortir de la cage, même si j'ouvre la porte. J'ai déjà essayé, et je peux t'assurer que ça fait très mal."

Il grimaça brièvement, avant de reprendre:

"Approche-toi du boîtier sur le mur. Tu vois l'espèce de disque, sur le côté? Bon, tu... NON, PAS TOUCHER!"

Algol resta un instant figé, le souffle court, se yeux écarquillés fixés sur la petite main que Casey avait levée. Le léopard reprit lentement sa respiration, avant de balbutier:

"Ne me fais plus ce coup-là, bonhomme..."

Il déglutit et tenta de s'expliquer:

"Si tu tournes le disque dans le mauvais sens, la machine va réagir comme si j'étais sorti et elle va me faire mal, tu comprends? Je suis désolé de t'avoir fait peur Casey, je m'excuse. Je ne crierai plus, promis, mais tu dois bien faire attention à ce que je vais te dire, d'accord?"

Puis, avec un petit sourire:

"Après on fera un câlin, si tu veux."

Un éclair de lucidité lui fit envisager le danger auquel il s'exposait en faisant une telle promesse, mais c'était un problème secondaire.

"Bon, il faut que tu tournes le disques vers le bas, au maximum. Non, n'essaie pas de l'attendre en te mettant sur la pointe des pieds, tu risques de rater ton coup. Il n'y a pas quelque chose dans cette pièce sur quoi tu pourrais grimper?"

Le sourire de Casey faisait trois fois le tour de sa tête.
On pouvait difficilement imaginer à quel point il pouvait être heureux: le léopard grincheux en train de sourire, lui ébouriffer les cheveux et le féliciter sans réserve sur sa mission…Oui, il était aussi heureux que si Monsieur Shift s'était réveillé un matin de bonne humeur et l'aurait pris dans ses bras pour le remercier du petit-déjeuné préparé par ses soins.
Il aurait souhaité participer activement aux réjouissances d'Algol en gambadant partout dans la pièce avec force de rires enjoués, mais son aîné lui réservait une autre mission à accomplir, plus encore dangereuse que la première –du moins pour le captif.

"Tu vois ça, là-bas? C'est relié à ce machin et c'est censé m'empêcher de sortir de la cage, même si j'ouvre la porte. J'ai déjà essayé, et je peux t'assurer que ça fait très mal."

Casey, ses grands yeux dorés fixant le collier de cuir, resta un instant perplexe. Mais pourquoi est-ce que sa maîtresse lui ferait du mal avec ce machin? C'était…méchant! Et Monsieur Algol il était gentil, il ne désobéirait pas à sa maîtresse si elle le laissait un peu sortir…
Le blond esquissa une moue mi-figue mi-raisin, ne comprenant décidément pas la logique des adultes, et suivit docilement les instructions d'Algol en s'approchant du mur où était fixé le boîtier.
Il leva la tête vers lui, perplexe quant à ses capacités à l'atteindre de la main. Le Chaton avisa le disque que lui indiquait Algol, et étendit immédiatement son bras pouvoir le toucher.
A la seconde même où il se rendait compte qu'il manquait plusieurs bons centimètres pour y accéder, la voix paniquée et soudainement plus forte du léopard le frappa aussi sûrement qu'un coup de fouet, le surprenant à tel point qu'il rétracta vivement sa main fautive et la serra contre lui comme s'il s'était brûlé. Il jeta un regard apeuré à Algol, qui d'ailleurs semblait aussi pétrifié que lui, mais pour une raison bien différente...

"Si tu tournes le disque dans le mauvais sens, la machine va réagir comme si j'étais sorti et elle va me faire mal, tu comprends? Je suis désolé de t'avoir fait peur Casey, je m'excuse. Je ne crierai plus, promis, mais tu dois bien faire attention à ce que je vais te dire, d'accord?"

La petite créature ne bougea pas d'un centimètre, assimilant avec sa lenteur habituelle les paroles de son aîné. Faire mal à monsieur Algol…? La mine de Casey se décomposa davantage, et un frisson désagréable parcourut son échine, hérissant au passage les poils de sa queue. Il ne voulait pas faire de mal à monsieur Algol! Après il se fâcherait, et…et…

La promesse lancée judicieusement par le sous-chef eut le mérite de stopper la venue de larmes aux yeux du gamin, et de lui redonner une once de jovialité suffisante pour qu'il continue d'exécuter les ordres sans afficher une triste mine. Il s'en serait voulut ad vitam si le léopard avait souffert de ses bêtises, mais cette phrase l'avait rasséréné efficacement.
Après? Bon d'accord…vivement qu'après arrive…!
Tourner la molette vers le bas…Roger, chef! Casey avait amorcé un mouvement vers ce fichu boîtier qui embêtait tellement son cher monsieur Algol, mais ce dernier l'interrompit d'une remarque brillante de perspicacité. Il était trop petit...Enfin c'était plutôt le monde qui était bien trop grand…!
Casey balaya rapidement la petite pièce du regard, à la recherche d'un support potentiel pour accomplir son objectif. Rien. Le mobilier ici était assez limité, contrairement à ce qu'il avait pu observer dans le reste de la maison de Madame Jadenoire…
Le chaton ronronna légèrement, puis quitta prestement la "chambre" d'Algol pour s'engager une nouvelle fois dans le hall. Il devait bien y avoir une chaise légère ou un tabouret dans le coin!

Le blond pointa le bout de son nez dans ce qu'il pensa reconnaître comme étant une cuisine, et repéra d'emblée un haut tabouret jouxtant la paillasse. Maintenant, il fallait la récupérer…
Pas de gang de casseroles enragées en embuscade? Pas de meute de vaisselles rebelles en vadrouile?
Rassuré sur les intentions des ustensiles de cuisine, il s'aventura jusqu'à sa cible et après avoir prudemment inspecté les environs, la souleva et détala comme une souris avec son butin de fromage.



"J'aaiiiiiiiiiiiiiiiiii un taboureeeeet, Môsieuuuuuuur!"

Ainsi revenu en fanfare au QG, ledit tabouret élevé tel une altère au-dessus de sa tête, Casey resta un bref instant immobile sur le seuil, un air victorieux accroché à son visage poupin, avant de s'atteler avec un sérieux professionnel à sa tâche.
Le tabouret remit de ses soudaines émotions fortes –se faire trimbaler comme un trophée à grande vitesse ne faisait pas partie de son quotidien, visiblement- et ayant retrouvé le paisible plancher des vaches, au pied du mur, servit donc d'élévateur à la petite créature qui venait de grimper sur elle d'un bond léger.
Tourner la molette…vers le haut ou le bas…? Casey fronça les sourcils, les oreilles en berne, avant de décréter qu'il devait la tourner vers le bas –décision prise grâce à ce merveilleux jeu qu'est le "plouf-plouf". Heureusement pour le captif, Dame Chance était encore de leur côté et soupira même de soulagement après avoir sauvé Algol d'une expérience douloureuse.
Une fois sa tâche effectuée, le blond tourna ses yeux félins vers la cage tout en s'accroupissant sur le sommet du tabouret, attendant la suite des évènements.
Maintenant, on était à "après"…? Il l'espérait bien, en tout cas.

Très lentement, le léopard des neiges retira la clé de sa poche arrière. Il la contempla un instant, avant de fixer Casey, puis de revenir à cette ridicule pièce de métal dont dépendait sa liberté. Toujours en mode "ralenti", Algol s'approcha de la porte de sa cage et glissa avec d'infinies précautions son bras entre deux barreaux, comme si ceux-ci avaient soudain été chauffés à blanc. Ses doigts longilignes firent pivoter la clé, et il se pencha un peu plus pour pouvoir l'introduire dans la serrure. Les dents de métal glissèrent dans leur logement sans à-coup, et après une autre seconde de silence religieux, la créature la fit tourner.

La clé effectua un huitième de tour et s'immobilisa.

Du calme, on reste caaaaaaalme...

Algol souffla profondément, déglutit une salive qui avait depuis longtemps quitté sa bouche sèche. Il était à l'envers par rapport à la serrure, il devait donc l'actionner à l'envers. Le léopard des neiges raffermit sa prise et fit à nouveau tourner la clé, mais dans le bon sens cette fois.

La porte s'ouvrit au troisième déclic.

Un instant indécis, Algol darda un regard peu enthousiaste vers Casey ("j'espère que tu as bien fait ton travail..."). Puis il trouva enfin assez de courage pour repousser le battant de sa main tremblante, et pour poser un pied dans l'ouverture. Il ferma les yeux et serra les crocs, avant d'avancer la tête jusqu'à passer cette barrière invisible qui remplaçait encore la porte tangible, jusqu'à ce que l'électrode de son collier s'arme avec un petit son électrique qui pouvait aussi bien marquer l'enclenchement de la sécurité que celui d'une monstrueuse décharge.

Mais il n'y avait pas de léopard rôti au menu du soir, et l'ancien sous-chef se retrouva sans dommage hors de sa cage, les mains libres, alors que Catelyn n'était pas à la maison. Avec la même expression monolithique, il posa la main sur le petit boîtier noir et s'assura que la molette était ouverte à fond. C'était le cas. Son regard s'abaissa vers Casey, et soudain un grand sourire idiot typiquement boule-de-poilesque vint s'afficher sur le visage amaigri d'Algol. A ce moment, à cet instant précis, il aimait ce chaton plus que n'importe qui ou n'importe quoi d'autre sur cette fichue planète.

"Tu es génial, mon grand, absolument génial!"

Et il saisit sans broncher la petite créature dans ses bras, bien trop ivre de soulagement et d'espoir pour réaliser que "génial" n'était certainement pas l'adjectif le mieux assorti à Casey, surtout dans le sens littéral du terme. L'étreinte du léopard se maintint un court instant, avant qu'Algol n'esquisse un pas de danse dans la pièce en faisant tournoyer son minuscule partenaire, qui eut tout le loisir d'apprendre à valser les pieds dans le vide. Le léopard des neiges se fit intérieurement la réflexion qu'il était un parfait abruti et qu'il n'avait pas le temps de danser avec un chaton, mais son esprit anesthésié ne prenait plus en compte des informations aussi bassement terre-à-terres. Il rit, brièvement et sincèrement, comme il n'avait pas rit depuis neuf mois. Comme il ne riait jamais, d'ailleurs.

"Génial, génial, génial!"

Il ramena Casey contre lui et le gratifia d'un fort énergique shampoing sec. S'il s'était écouté jusqu'au bout, il aurait volontiers embrassé le chaton, mais cette fois-ci son instinct de survie se réveilla à temps: s'il avait le malheur de déposer un gentil petit bisou dans cette chevelure blonde, la cage de Catelyn serait le seul endroit sur cette planète où il se sentirait à l'abri - et encore... Aussi se contenta-t-il de garder le garçonnet dans ses bras, tout en commençant tout juste à se conduire de manière plus raisonnable. Il toussota légèrement, histoire de se redonner une contenance, avant de dire très sérieusement au plus adorable imbécile que la Terre ait jamais porté:

"Tu as fait du bon boulot, bonhomme, un excellent boulot. Je ne t'en demanderai pas plus, tu peux être tranquille. Mais tu vois, pour sortir au soleil, j'ai encore un petit quelque chose à trouver dans cette maison, et pendant que je cherche il va falloir que tu sois bien sage."

Peut-être valait-il mieux renvoyer le héros du jour à ses Pénates... Oh non, grossière erreur: Casey était dans un tel état d'excitation que le relâcher dans la rue était synonyme de mettre tout Paris au courant de l'évasion du sous-chef - celui-ci voyait très bien l'enfant remonter les Champs-Elysées en hurlant à tue-tête que "môssieur Algol il est dehors et c'est grâce à Caseeeeeeeeeeeeeey!!!". Et puis de toute manière, à moins de trouver un pied de biche dans la pièce, l'ancien sous-chef ne voyait pas comment désolidariser de son corps mince la boule de poil qu'il y avait lui-même accroché. Mais de là à laisser ladite boule de poile caracoler partout dans la demeure pendant qu'il cherchait le code de son collier... Le léopard pâlit légèrement. Encore plus à proscrire!

"Tu vas rester près de moi, d'accord? Gentil. Très gentil. On va commencer par le salon et sa bibliothèque, c'est une bonne cachette pour un hologramme."

Algol pria bièvement pour que Catelyn s'en soit tenue à l'équipement de base du collier et qu'elle n'ait pas détruit le fichier holographique pour retranscrire les mots sur une simple feuille de papier - si c'était le cas, il était perdu. Jamais il ne pourrait retrouver une page de cellulose dans cette immense maison. Par contre, le solvant qui unissait les crystaux liquides avait une odeur tout à fait détectable par les nez des hybrides... Après tout, peut-être que Dame Chance était encore de leur côté (et pourtant Dieu sait qu'ils étaient épuisants à aider, tous les deux). Algol sourit d'un air engageant à Casey, et tout en se dirigeant vers le hall, il prit l'initiative de hisser le chaton sur ses épaules. Il se rappelait trop bien l'immense joie de la petite terreur lorsqu'il l'avait fait la première fois.

"Si tu sens quoi que ce soit qui t'évoque un écran, tu me le dis, d'accord bonhomme? Oh, attention la..."

BLONG! fit le haut du chambranle de la porte.

"... tête..."

Gauche. Droite. Légère torsion. Gauche. Droite…
La queue préhensible de la petite créature, toujours accroupie au sommet de son tabouret, esquissait de tranquilles mouvements de balancier. Outre son extrémité caudale et ses oreilles parfois frémissantes, Casey ne bougeait pas d'un cil, trop occupé à regarder son aîné ouvrir avec une lenteur quasi cérémonieuse la porte de sa cage.
Monsieur Algol était lent! Pourquoi est-ce qu'il tardait tant à sortir d'entre ces curieux barreaux…? Il avait envie de câlin, lui!

Un déclic. Les oreilles couleur crème du Chaton se dressèrent avec intérêt, mais une fois encore, Algol ne s'empressa pas de pousser le battant et s'élancer tel un jeune cygne vers sa liberté si délicatement acquise. Il la passa avec une lenteur rivalisant avec de la décomposition motrice.
Le blondinet fronça les sourcils, pour le moins perplexe, et se retint de justesse d'aller chercher lui-même son dû. Tout ce qui venait de se passer était certes plutôt amusant, mais il ne comprenait toujours pas pourquoi Monsieur Algol avait passé tout ce temps dans une cage. La conclusion était fort simple et lucide: les voies des adultes sont impénétrables.

Puis il y eut un soleil.
Entendez par là que le l'ancien sous-chef venait de sourire. Un vrai, un grand sourire, bien nigaud.

"Tu es génial, mon grand, absolument génial!"

Casey battit des cils, ce qui consistait la seule marque de surprise assez rapide avant que des bras ne le happe pour un câlin, aussi soudain qu'inopiné de la part du si sobre Algol. Casey se sentit décoller de son perchoir, et c'est avec une joie sans nom qu'il s'agrippa bras et jambes au torse la panthère des neiges alors que ce dernier esquissait des pas de danse allègres au milieu de la 'chambre'. Un large sourire scotché aux lèvres, et son rire clair faisant écho à celui d'Algol par une expansivité sans doute inhérente les hybrides.
Ah…! C'était un soupir soulagé et comblé que poussait intérieurement Casey. Cela faisait si longtemps qu'on ne l'avait pas cajolé! En fait, la dernière personne à lui avoir accordé un peu d'attention n'était autre qu'Algol, il y a presque un an de cela.
Alors de longues –mais trop brèves aux yeux du chaton- démonstrations de reconnaissance, Algol affecta un air posé en le félicitant.
Casey leva sa frimousse vers le visage du brun, ses cils papillonnant activement. Encore quelque chose à chercher? Rester sage…?
Un miaulement s'échappa d'entre les lèvres rosées du Chaton, marque implicite d'assentiment. Il fixa encore longuement la mine pensive –parfois vaguement affolée- du léopard, jusqu'à ce que ce dernier reprenne la parole. Il cherchait un nonogam? Casey afficha une moue curieuse, mais n'éleva pas voix. Il ne savait pas ce que c'était, et il n'avait jamais entendu ce mot avant. Un nonogam…c'était peut-être un jouet!

Plongé dans ses réflexions sur cet étrange artefact que recherchait le preux Sieur Algol , Casey ne vit pas immédiatement le geste amorcé par son aîné et ce fut presque par surprise qu'il se retrouva juché sur les épaules de l'élégant félin. Mais tout étonnement laissa place à la même déferlante de joie qu'il avait déployé la première fois.
Il était plus grand que le mooonde entiiiiier!!!!
Le problème, c'est que lorsque Algol parla d'écran, Casey baissa les yeux vers son crâne –les cheveux réglisse!- d'un air interrogateur. Et il ne vit pas qu'il allait droit vers l'encadrement de la porte.

Un BLONG! sonore. Un miaulement vif…

Ce fut la porte qui gagna le round, par K.O technique.

Les étoiles dansant devant ses yeux, et une jolie bosse rose poindrant sur son front, le Chaton s'accrocha plus fermement encore à son perchoir, sa joue enlisée dans la noire chevelure du léopard et ses petites mains agrippées au menton d'Algol.

"Aïeuuuuuh......"

["nonogam"... XXD]

Le beau visage du léopard des neiges se crispa fugitivement, et il laissa prudemment l'infortuné chaton couler à bas de ses épaules pour aller s'avachir dans ses bras. Le regard vide (encore plus que d'habitude) de Casey amena une pointe d'inquiétude dans sa joie et son amusement, mais apparemment le vaillant soldat remuait encore - si on pouvait compter comme un signe de vie intelligente un léger frémissement d'oreille et un bout de queue qui se balançait mollement dans le vide. Une belle bosse violacée faisait déjà son apparition sur le front du chaton sonné. Algol scruta attentivement l'affreux stigmate, avant de décider que la porte s'était montrée compréhensive.

"Ca va aller bonhomme, tu t'es juste cogné. Ce n'est qu'une petite bosse."

Et puis, soudain, l'idée fut là, dans toute son horreur, enveloppée dans le manteau sanglant de ses cataclysmiques conséquences: et si Casey se mettait à pleurer? Le visage déjà bien pâle d'Algol en perdit toutes ses dernières traces de couleur. Une idée, vite une idée, avant que la boule de poil comprenne qu'elle avait mal... Immobile sur le seuil du petit salon, la créature ramena le chaton contre sa poitrine pour lui caresser la tête et essayer de retarder la catastrophe, tout en cherchant désespéremment un moyen d'endiguer l'imminente pluie de larmes. Oh, pourquoi n'était-il pas plus doué avec les enfants?! Il s'y prenait comme un manche dès qu'il s'agissait de les consoler, n'obtenant que des pleurs supplémentaires malgré sa gentillesse et sa patience. Il était persuadé que, comme tous les animaux, les enfants sentaient sa peur...

Une illumination! La panique quitta les traits d'Algol aussi vite qu'elle s'y était installée, et tout en rafermissant sa prise sur Casey, le léopard fit demi-tour. En quelques enjambées, il fut à nouveau dans la cage qu'il s'était donnée tant de peine à quitter, et il ramassa le gilet crème laissé sur la moquette. Plutôt content de lui, il sourit au héros du jour et lui donna le vêtement, non sans lui chuchoter avec douceur:

"Tu vois ça, Casey? Tu t'en rappelles, hein? Eh bien je te le prête. Mieux, je te le confie. Tu vas y faire très attention, d'accord? Je compte sur toi!"

Algol attendit quelques secondes, avant de se dire qu'il avait bien fait d'abandonner le malheureux vêtement aux câlins du chaton. Le gilet serait mort valeureusement. Encore une fois l'adulte ajusta la position du petit dans ses bras, avant de reprendre sa trajectoire initiale et de quitter définitivement cette pièce mille fois maudite. Après un infime instant de réflexion dans le hall, Algol se décida pour le salon et sa bibliothèque. Ses pieds nus foulèrent le marbre, puis l'épaisse moquette de la pièce où... Son visage s'adoucit de manière notable. La pièce où il avait trouvé Opale, la dernière fois qu'il était entré. Il tenait parole, finalement: il était en train de s'échapper.

La vue de l'heure qui filait à toute allure sur la vieille et précieuse horloge le ramena à la réalité, et il déposa Casey sur le canapé où il se rappelait encore avoir enlacé sa bien-aimée. Il ébouriffa la chevelure blonde, avant de rappeler à son propriétaire qu'il devait être bien sage et veiller sur le gilet. Puis il pivota sur ses talons et observa la bibliothèque de Catelyn. Tous ces livres... L'hologramme pouvait être glissé entre deux ouvrages sur n'importe quelle étagère. Il pouvait aussi ne pas du tout être ici. Mais il fallait bien commencer par quelque part, non? Algol s'approcha du beau meuble avec circonspection, avant de concentrer toute son attention sur les informations qui parvenaient à son odorat hyperdéveloppé. Enfin, toute son attention... il en gardait un minimum pour la bête blonde recroquevillée sur le canapé.

"Si tu te sens assez courageux, Casey, tu peux m'aider. Tu te rappelles l'odeur de l'écran de l'ordinateur de Monsieur Shift? Eh bien, si tu sens la même chose ici, préviens-moi tout de suite, d'accord?"

**Waaaah. Des pitites étoileuh!**

Casey remua ses doigts, comme dans l'optique de les tendre devant lui pour capturer ces petites lumières qui dansaient devant ses yeux. Mais son bras lui resta inerte, pendant dans le vide comme l'ensemble de ses membres.
En clair, il était sonné, vautré dans les bras d'Algol et fixait le plafond avec plus d'intérêt qu'il n'en était nécessaire. La porte était indiscutablement une championne de catch qui cachait bien son jeu…Comme tout le mobilier de cette maison d'ailleurs! Il était tombé sur un camps d'entraînement spécial, c'était la seule explication logique…

Tout a ses réflexions d'une logique entre nous assez douteuse, Casey prêta à peine attention à la voix de léopard qui se voulait rassurante, et encore moins à son remue-ménage désespéré pour empêcher le tragique épisode deux du déluge.

**Ca daaaanseuh…°o°…**

"Tu vois ça, Casey? Tu t'en rappelles, hein? Eh bien je te le prête. Mieux, je te le confie. Tu vas y faire très attention, d'accord? Je compte sur toi!"

Hein…'vois quoi…?
Les yeux dorés du chaton, embués et voilé de cet abrutissement passager (hum), s'ancrèrent finalement sur le tissu crème que brandissait l'ancien captif. Ah vui, il s'en rappelait... Le joli gilet de monsieur Algol…
Tilt.

"Iiiiiii!!!! XD"

Ses menottes –ayant vraisemblablement retrouvé leur vigueur habituelle- se refermèrent impitoyablement sur le gilet pour l'amener contre lui. Ce gilet!
Il retrouvait sa texture douce, et son parfum agréable!Le gilet de Monsieur Algooool! Joie!
Sa bosse et son cortège d'étoiles passées aux oubliettes, la petite créature se mit à battre nonchalamment des jambes en laissant Algol le transporter comme un prince jusqu'à la salle du trône, tout son attention étant bien entendu focalisée sur ce nouveau doudou-saint-graal que son aîné lui avait confié.

Une fois abandonné sur le canapé, Casey s'extirpa un bref instant de sa transe admirative pour jeter un regard curieux vers son aîné. Ah oui, il cherchait son nonogam…
Le chaton haussa les oreilles lorsque la voix du léopard s'éleva à nouveau. Encore une mission? C'était son jour!…Il n'avait plus qu'à espérer que ses heures sup. serraient payées en verres de lait et gâteaux au chocolat, pour la peine.
Après avoir soigneusement plié le gilet, et le laisser à regret trôner sur le canapé, Casey descendit de son perchoir et s'approcha en trottinant de la bibliothèque. Il adopta une position quadrupède, inspectant avec minutie le plus bas étage du meuble.
Une odeur d'écran…Comme l'ordinateur de monsieur Shift…?
Fouillant dans sa mémoire, il chercha à se rappeler de l'odeur du deuxième monstre ronronnant du vétérinaire arnaith, tout en humant consciencieusement l'air autour des lignées entières de livres.
Légère odeur de poussière, supplantée par celle du spray nettoyant à la cire d'abeille…le parfum des vieux livres, celui des plus récents…Pour l'instant, rien de bien intéressant. Le nonogam sacré ne se trouvait pas ici, on dirait…
On grimpe d'un étage, et…

**iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!!!!!!**

Casey se jeta littéralement sur le livre dont il venait de lire la tranche, avec la fébrilité et l'exaltation de tout aventurier face au trésor secret-caché-maudit-etc du temple secret-caché-maudit-aussi.
"Alice au Pays des Merveilles - Lewis Carroll".
Il extirpa le précieux volume sans grande précaution, trop heureux d'avoir enfin entre ses mains the œuvre qu'il adorait. Et tomba en même temps que le livre, une petit chose que Casey n'aperçut pas immédiatement et qu'il n'aurait de toute façon pas pu identifier clairement, à savoir le fameux nonogam de monsieur Algol...

[J'ai plus qu'à espérer que Miss Jadenoire m'en voudra pas si je fais d'elle une p'titnhistoirepourenfantophile qui s'ignorait ]

Edit Catelyn : Mais non, c'est très bien Alice au pays des Merveilles! Tu m'aurais mis Oui-Oui, là je dis pas

[Allez, il est temps de poursuivre cette impérissable évasion... ^^"]



Les délicats doigts d'Algol couraient sur les tranches des livres tandis qu'il parcourait les étagères, le visage à moins de dix centimètres des ouvrages. Un infime sourire passa sur son visage amaigri: comme l'odeur du vieux papier et de l'encre étaient agréables... Pour avoir si longtemps vécu sans savoir lire, le léopard considérait chacun de ces tas de papiers comme un trésor, l'un de ces nombreux miracles que les humains considéraient comme ordinaires. Lorsqu'il serait dehors, il... il aurait mieux à faire que de lire, voyons! Un peu de concentration!

Un glapissement hypra-enthousiaste vint l'approuver, et en baissant les yeux Algol put constater que Casey s'était vautré à plat ventre sur le parquet et qu'il feuilletait avec une passion sans limite un livre un peu moins épais que la moyenne. Il parcourait les chapitres à la recherche des illustrations, laissant échapper de petits rires d'adoration lorsqu'il tombait sur le dessin de ce qui devait être l'une de ses scènes préférées. Algol eut un sourire en coin: ça, c'était de l'aide...

Il se pencha par-dessus l'épaule du chaton, qui avait temporairement arrêté de feuilleter le livre pour fixer une page de texte. Le léopard fronça les sourcils: il ne pouvait tout de même pas... Le félin s'inclina un peu plus, et découvrit les infimes mouvements latéraux des yeux du petit blond. Incroyable. Casey, LE Casey, savait lire... et apparemment, il adorait ça. Algol s'apprètait à le féliciter, lorsque le chaton tourna la page et tomba sur une illustration qui le fit glousser. Algol l'observa lui aussi, et il découvrit une table mise avec soin. Un homme au chapeau hypertrophié et à la santé mentale douteuse versait une floppée de liquide brun clair dans la tasse que lui tendait un immense lièvre, dont l'une des longues oreilles retombait sur son épaule humaine. L'ancien sous-chef était en train de se dire qu'il ne connaissait pas ce livre, lorsqu'il sentit sur lui le regard insistant de Casey. Il tourna la tête et s'aperçut que le chaton le dévisageait, en effet, et ce avec un air contemplatif et un sourire pour une fois aussi rêveur qu'idiot.

"Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?"

Algol était intrigué. En attendant que sa question parvienne au cerveau du blondinet, il consulta à nouveau la gravure du regard. Et ce fut là qu'il le vit. A l'envers, tout près de l'étagère. Il avait la taille et l'apparence d'un carte de crédit, couvert du logo d'un célèbre entreprise d'électronique. Le léopard des neiges déglutit, et son visage déjà pâle devint blanc comme neige. Lentement, sa main alla chercher le petit objet, et il s'en saisit avec dévotion pour le retourner sur l'endroit. Là, gravé en relief, huit chiffres qui firent manquer un battement au coeur de l'hybride. Juste avant que ce dernier ne reparte au triple galop.

"A... Attends-moi sagement ici, d'accord Casey? Je... reviens..."

Il avait parlé mécaniquement, incapable de désolidariser son regard de la petite carte. Un simple rectangle de plastique gravé en relief. Jamais il ne l'aurait retrouvé à l'odorat. Si le chaton ne s'était pas emparé du bon livre... Algol posa sur le chaton un regard empli de reconnaissance, et il se promit une fois de plus que ce petit allait faire une indigestion de lait et de biscuits lorsque son aîné l'aurait pleinement remboursé. En cet instant presque plus que lorsqu'il avait ouvert la cage, Algol aimait Casey, il l'adorait au-delà de tout. Et il venait sans doute d'acquérir une réserve de patience qui, même face au chaton, tiendrait au moins cinq ans.

Bon, peut-être que trois.

"Je reviens..."

Le félin enjamba le garçon en pleine lecture et couru jusqu'à la petite pièce qui avait limité son horizon neuf mois durant. Autant il avait procédé avec lenteur et circonspection pour sortir de sa cage, autant là... Il traversa le minuscule salon d'un unique bond, avant de s'abattre sur le boîtier et d'en arracher le couvercle protecteur, dévoilant un digicode. Fébrile, tremblant à l'idée d'entrer le mauvais code, il enfonça une à une les touches correspondant à la carte qu'il serrait dans sa main crispée à mort. Puis il y eut un déclic, et la petite diode verte incrustée au-dessus du digicode passa au rouge.

Ca y est. Il était libre.

Alors c'était tout - pensait-il en oubliant la chute miraculeuse de Casey dans l'ouverture de la fenêtre, le massacre des clés, la presque-catastrophe de l'élargissement du champ électrique, le coup de chance fabuleux qui lui avait permis de trouver le code. Quelques chiffres dans une carte à puce, et le voilà libre de passer la porte d'entrée, de courir jusqu'au coin de la rue, puis au-delà, et ne jamais, jamais plus se retrouver en cage. Lentement, Algol pivota sur ses talons, pour revenir au grand salon d'un pas de somnambule. Libre, véritablement libre. Il s'arrêta sur le pas de la porte, avec l'étrange sensation que le monde était devenu trop lumineux pour lui. Il papillonna des paupières, essaya de dire à Casey que c'était fait, qu'il pouvait sortir.

Et c'est là que la chaleur et l'émotion eurent raison de ses maigres défenses. Algol eut l'impression que le plancher se gondolait sous ses pieds. Il tituba un instant, porta une main à sa tête. Puis tout devint noir et il s'effondra de tout son long sur le riche tapis.

Casye lisait chaque mot de ce début de chapitre comme si c'était de délicieux bonbons. Il lisait d'ailleurs aussi vite qu'il dégustait, c'est à dire remarquablement lentement. Mais le cœur y était, alors…!
Il s'était presque aussitôt plongé dans la relecture de son livre préféré, n'ayant aucun scrupule à sauter jusqu'à son passage préféré, à savoir le mythique thé entre le Chapelier Fou, le Lièvre de Mars, le Loir et Alice.
Le Chat de Shift(er) quant à lui se souvenait très bien de son rêve où Monsieur Algol avait de longues oreilles brunes et effilées et une paire de moustache, tandis que son bien-aimé maître s'était retrouvé affublé d'un chapeau haut-de-forme difforme. Cette réminiscence lui arracha un gloussement ravi, et il leva presque aussitôt son minois vers l'élégante créature qui l'observait lire depuis quelques instants.
Est-ce qu'une paire d'oreilles de lièvre lui irait aussi bien que dans ses songes…?

*X3….hihihi!*

Mais l'attention du lièvropard fut détournée par cette petite chose tombée d'entre les pages, et Casey n'y vit que peu d'intérêt –qu'est-ce qui pouvait être plus captivant qu'Alice au Pays des Merveilles, hein?

"A... Attends-moi sagement ici, d'accord Casey? Je... reviens..."

Manifestement, cette petite carte accaparait complètement Monsieur Algol. Casey battit des cils en suivant sa démarche quasi mécanique vers son ancienne prison, délaissant l'espace d'un instant sa lecture pour s'interroger sur le soudain changement de cap de son aîné. Lentement, les rouages du petit cerveau félin s'engrenèrent, et d'un long tube alambiqué sortit la conclusion qui aurait théoriquement du s'imposer immédiatement: Monsieur Algol avait trouvé son nonogam.

Un tressaillement d'excitation hérissa les oreilles félines de l'enfant, et un large sourire éclaira son visage. En un bond, il se retrouvait campé en position accroupie, le précieux livre entre les mains, et guetta le retour de Monsieur Algol. Ils allaient pouvoir jouer dehors maintenant? Par un aussi beau temps, ils pourraient aller au petit parc derrière le marché!
La tête pleine de projets pour le pauvre sous-chef, le blondinet ne vit pas immédiatement le retour de la créature grisée par sa soudaine liberté. Ce ne fut que lorsqu'il entendit un "BONK!" sonore qu'il dressa subitement les oreilles et porta son regard en direction du salon. Nada. Son regard s'abaissa alors vers le tapis, et il découvrit le corps inconscient d'Algol.

* O_____O…. *

"Mon…MONSIEUR ALGOOOOOOl???!!! \OoO/"

En un éclair, Casey bondit sur le fauteuil qui s'interposait entre Algol et lui, et en dégringola avec sa souplesse toute féline pour s'agenouiller auprès de la panthère.

"Monsieur?…Monsieur! é____è"

Ses petites mains se pressèrent sur l'épaule drapée de blanc, n'en tirant pas grande réaction.

"Monsieur, vous dormez?"

Casey cessa de s'acharner sur l'innocente épaule d'Algol, et regarda de tout côté comme si quelqu'un allait soudainement surgir pour porter secours à son aîné. Mais bien entendu, la si vicieuse maison Jadenoire resta silencieuse et indifférente.
Ni une ni deux, le blond se leva sur ses jambes maigrelettes et fonça avec sa célérité naturelle vers la cuisine.

"Verdoverdoverdoverdoverdooooo ><"

Les glapissements affolés de la créature de Wind Shift pouvaient éventuellement se traduire par "Vite, il me faut un verre d'eau fraîche pour ranimer le pauvre monsieur Algol!". Il fouilla allègrement un peu partout, parvint enfin à trouver un grand verre, puis une bouteille d'eau glacée au frigidaire.
Alors qu'il s'apprêtait à en verser dans le récipient transparent, Casey hésita, stoppa son geste puis se ravisa en regagnant le salon avec la bouteille pleine et bien glacée entre les mains.

"Monsieur!"

Et ce qui devait arriver arriva.

SPLACH!

"Oops…"

[ XD, XD et re-XD]



Tout ça pour en arriver là... Tout ça quoi, au fait? Algol entendait ses pensées avec un étrange détachement, comme si sa perception flottait très loin de ses capacités de raisonnement et qu'elle les observait avec ce qui était tout juste un vague intérêt. Il était allongé par terre, oui, ça il en était à peu près sûr. Il savait aussi qu'il avait les yeux entrouverts, et pourtant il ne voyait rien. Qu'est-ce que ça signifiait? Ah oui, s'inquiéter, il devait s'inquiéter. Bouger? Impossible. Parler? Repassez plus tard. Bon, apparemment il n'avait rien de mieux à faire que s'inquiéter.

Il interrogea cette conscience raisonnable qui lui semblait de l'autre côté d'un insondable gouffre, et elle lui répondit en hurlant qu'il s'était évanoui, qu'il s'était sans doute cogné la tête en tombant, qu'il fallait qu'il se lève, qu'il se lève tout de suite, avant que quelqu'un n'arrive. Pourquoi? Qu'est-ce que ça pouvait faire si quelqu'un arrivait? Quoi? Ah, Catelyn, oui. Oui, c'est vrai que ce serait embêtant si elle le trouvait comme ça, sur le tapis. Il n'aimait pas qu'on le regarde dormir.

SPLACH!

MRAOOOOOOOOUUUUUUUARGH!

Le léopard des neige décola littéralement du sol, avec un rugissement de souffrance qui porta certainement jusqu'aux dernières maisons de la rue. Il bondit instinctivement sur ses pieds, mais sa vision à peine éclaircie s'éteignit à nouveau et il retomba en arrière, atterrissant sur les fesses avec une inélégance totale. Haletant, complètement sonné, Algol jeta autour de lui de rapides regards de bête blessée pour essayer de comprendre où il se trouvait, pourquoi sa chemise lui semblait soudain froide et collante, pourquoi des mèches de cheveux trempées lui collaient au visage. Mais bon sang qu'est-ce qu'il s'était passé?! Où était le monstre hideux qui lui avait craché sa bave gelée à la figure?!

Puis toutes les pièces du puzzle éparpillé se remirent en place, et l'ancien sous-chef reconnu le salon de Catelyn, ce salon dans lequel il se trouvait parce qu'il était sorti de sa cage et qu'il avait débranché son collier, parce qu'il était libre, libre, oui il était libre libre LIBRE! Cet unique mot explosa devant ses yeux fatigués en une gerbe d'étoiles, et Algol reprit enfin pleine possession de ses moyens. Son corps noué se détendit, tandis qu'il passait d'un air grincheux la main dans sa chevelure dégoulinante d'eau glacée. Non pas que ce soit tout à fait désagréable, par cette chaleur, mais il aurait préféré que son monstrueux bienfaiteur le prépare un peu mieux avant de le mouiller. Lui proposer une psychothérapie, ce genre de chose.

Le léopard des neiges nota le cadavre presque vide d'une bouteille de plastique, abandonnée sur le tapis une fois remplie sa mission kamikaze. Les yeux de miel de la créature poursuivirent leur route, jusqu'au fauteuil tout proche, tourné vers la cheminée. Avec une immense perspicacité, Algol parvint à remarquer le serpent couvert de poils crèmes qui ondulait nerveusement au-dessus du dossier. Excellente cachette pour un dragon...

"Caseeeeey..."

Un court instant, Algol fut persuadé que des éclairs allaient partir de ses yeux pour carboniser le fauteuil et son occupant. Ce petit monstre lui avait versé une grande bouteille de glaçons sur la tête, bon sang! Il l'avait mouillé, lui, l'ancien sous-chef de la Thianra, le félin qui détestait l'eau, et il ne l'avait pas loupé! Il l'avait... il l'avait... Algol soupira, et sa colère retomba avant d'avoir pu se faire vraiment dangereuse. Il l'avait sauvé. Sans Casey, il aurait pu rester évanoui trop longtemps pour pouvoir s'enfuir avant le retour de Catelyn.

Oui mais bon quand même quoi.

Le léopard grincheux glissa en arrière pour s'adosser au mur, avec un long soupir résigné. Puis il s'adressa au dossier du fauteuil, d'un ton qu'il ne parvint pas à rendre tout à fait amical:

"La prochaine fois que tu veux me réveiller, évite de faire ça!"

Puis, après un temps:

"Enfin, je suppose que je dois te dire merci quand même..."

A cet instant précis, on aurait du entendre le bruit du brisure dantesque de la pauvre planète Terre qui servait de background à un petit chat catastrophé, cheveux et autres poils hérissés de la plus étrange façon.

*GA-GAFFE!!!! O___O"""""*

On aurait éventuellement aussi entendu des coups sourds sur le mur le plus proche: Dame Chance frisait dangereusement la dépression nerveuse.
Parce que la malheureuse bouteille d'eau, bien glacée, bien pleine, venait d'échapper des petites minimes criminelles de la créature. Et tandis que le Chaton disait bonjour au parquet pour la énième fois de la journée, un fabuleux amas d'eau scintillante voleta un instant dans les airs avant de tomber, presque naturellement, sur le corps inerte d'Algol.

Et le "splasch" fut.

"Oops…"

Casey regarda avec de grands yeux effarés le léopard s'extirper très soudainement de son état comateux pour bondir sur ses jambes, le tout en poussant un incroyable rugissement de joie. Ou d'autre chose.

Une petite lanterne s'alluma dans l'esprit de Casey –ce qu'on appelait plus communément l'instinct de survie-, qui conseilla de se trouver une bonne cachette. Et vite.
En quelque bonds éperdus le blondinet se retrouva recroquevillé sur le fauteuil, les mains sur ses oreilles effilées dans l'attente du prochain Hiroshima version parisienne.

"Caseeeeey..."

"C-Casey pas lààà! >_< Casey est pas derrière le fauteuil, Monsieur!"

Superbe technique. La petite créature se campa sur ses petites jambes, prêt à fuir au cas où, mais la voix d'Algol, sensiblement plus calme, lui ôta une part de ses appréhensions. Quand à sa dernière réplique, n'en parlons pas: elle arracha un large sourire béat au Chaton, qui n'en attendit pas plus pour laisser apparaître en partie sa petite tête blonde au-dessus du dossier. Ses grands yeux miels se posèrent candidement sur l'ancien membre de la Thianra, et il répliqua d'une voix fluette:

"De riiien Monsieuuuur! ^w^ "

La prochaine fois, il sauterait sur son matelas jusqu'à ce qu'il se réveille –c'était quelque chose qu'il avait toujours rêvé de faire avec Monsieur Shift, et qu'il aurait sûrement déjà essayé si une petite sonnette d'alarme ne l'avait pas vaillamment retenu jusque là.

[Pardon pour cette conclusion abrupte, mais je préfère privilégier l'autre topic, chez Wind ]


Sainte Patience, ne daignerais-tu descendre du ciel pour filer un coup de main à ta copine Dame Chance? Elle a sur les bras deux matous qui apparemment sont trop atteints pour elle...

Algol se passa encore une fois la main sur la figure, avant de s'obliger à se relever avec force grognements. Dans ses rêves, Opale enfonçait la porte pour lui arracher son collier, et l'embrassait passionnément avant même qu'ils soient sortis de la maison. Si le léopard était en forme, il se passait même bien d'autres choses avant qu'ils ne sortent... Mais se faire doucher par une boule de poil avec un QI de deux chiffres ne faisait bizarrement pas partie de la liste. L'ancien sous-chef essora ses cheveux en y plongeant énergiquement les doigts, avant de maugréer à l'intention du terroriste en culottes courtes:

"Nettoie cette pièce, s'il te plaît: essaie de t'arranger pour que personne ne comprenne qu'on..."

Quelque chose fit tilt dans l'esprit d'Algol, qui recommença sans même paraître trop las:

"Nouvelle mission, soldat: ranger le salon. La bouteille, les livres, tout. Que ça ressemble le plus possible à ce que tu as vu en entrant dans cette pièce. Après, on verra pour la récompense."

Puis, trop vanné pour vérifier si Casey exécutait ses ordres, le léopard quitta le salon avant de prendre vers l'escalier. Il était soudain très fatigué, comme si son évanouissement avait déclenché le contrecoup de toute l'excitation et la ferveur qui l'avaient habité dans le petit quart d'heure qui avait précédé. Maintenant, Algol voulait sortir de cette maison et ne plus jamais la revoir, voilà tout ce qui lui importait. Même récompenser Casey par un câlin lui semblait un fait secondaire - c'est dire si le brave garçon avait la tête à l'envers.

L'ancien sous-chef poussa une porte au hasard, qui s'avéra être celle de la chambre de Catelyn. Il y pénétra avec lenteur, non sans gêne: il n'avait pas envie de s'immiscer dans la vie privée de la jeune femme, de fouiller ses affaires comme un voleur. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté sa cage, il se surprit à éprouver des remords. Si l'Arnaith ne lui avait pas laissé un courant d'air en ouvrant la fenêtre et la porte, si elle n'avait pas fait preuve de bonté à son égard, jamais il n'aurait pu s'enfuir. Le léopard frémit et secoua fermement la tête: ça suffit les états d'âme stupides! Il n'avait jamais demandé à ce qu'on le mette en cage, lui!

D'un geste qui se voulait assuré, il ouvrit l'un des placards. Sans prêter attention à son reflet de prisonnier dans le miroir qui couvrait l'intérieur de la porte, il farfouilla un peu au pied des vestes suspendues pour découvrir un vieux sac à dos replié dans un coin. Puis il jeta un coup d'oeil aux étagères, non sans scrupules - les filles rangent leurs "affaires" dans une commode, pas dans leur placard, hein?... Soudain, son coeur manqua un battement. Il n'avait pas découvert les dessous de Catelyn, mais les vêtements qu'elle lui destinait, à lui, ces costumes crème qu'il n'avait jamais cessé de porter. Coupés à sa taille.

Encore ce sentiment de culpabilité, presqu'étouffant cette fois. Sans oser penser à ce qu'il faisait, Algol prit tous les gilets et pantalons, avec l'intention de les jeter à la poubelle (sic) dès qu'il en aurait l'occasion: il voulait que la chef Arrnaith le croît vêtu comme d'habitude, un faux signalement lui donnerait un peu d'avance supplémentaire. Le léopard ôta le pantalon qu'il portait et le joignit aux autres, avant de dégoter un vieux jogging troué et un tee-shirt trop large au fond de l'armoire. Souvenirs d'un ancien amant? En tout cas, c'était assurément des vêtements d'homme. Algol eut un petit pincement au coeur lorsqu'il remarqua qu'il flottait dans le haut, une pauvre taille M: lui qui était si athlétique, autrefois...

L'ancien sous-chef effaça vivement les traces de son larcin, puis il sortit sans s'attarder davantage dans cette pièce trop intime. Il redescendit au rez-de-chaussée et fit un tour par la cuisine pour "emprunter" une boîte de biscuits secs et une bouteille d'eau glacée de deux litres - il n'osa pas emporter davantage. Cela pouvait paraître surprenant, mais il prenait un soin maniaque à ne rien abîmer dans la demeure de celle qui avait été son geôlier pendant neuf mois. Toujours pour des raisons qu'il préférait se dissimuler. Des raisons qui le poussèrent à faire un ultime crochet par la pièce qui lui servait de prison, et à griffonner un morceau de papier qu'il jeta sur le sol, bien au milieu de sa cage.

Après, tout se passa très vite: il attrapa les rapports de Wind Shift, retourna dans le salon pour y choper la boule de poil et quitta la maison sans un regard en arrière. Dans la rue déserte, il glissa les précieux dossiers du zombie dans la boîte aux lettres ("mais si, c'est un animal dressé pour recracher les rapports quand Catelyn lui gratte le ventre: il n'arrivera rien à ton trésor"). Puis, au moment de dire à Casey que toute cette mission était un secret et qu'il ne devait en parler à absolument PERSONNE ("non, même pas à monsieur Shift"), Algol eut un blanc. Et si... et s'il demandait au chaton s'il ne voulait pas...

"Pardon bonhomme, je ne peux pas rester. Je... je reviendrai, promis, pour te faire un câlin. Mais... là, je dois y aller. Tu as fais du bon boulot. A bientôt."

Et il détala après une rapide caresse dans les cheveux blonds. Ne pas réfléchir, ne pas penser. Pas le temps pour ça. Pas le temps de penser que, peut-être, il aurait pu libérer Casey de cet abominable véto. Pour penser au mot qu'il avait laissé à Catelyn. Un mot, un unique mot, au sens littéral du terme.

Désolé.

Encooooore uneuh missiiiiiiiiiiionnn!

Les oreilles effilées du chaton se mirent au garde à vous, et attentif aux ordres mâchonnés par le grand félin trempé qui lui faisait face, Casey souriait. Très, très largement. Et son amusement faisait frémir la fourrure rase de sa queue qui se tordait joyeusement dans son dos.

Il n'attendit pas le départ du zombi algolien – curieux, l'eau froide aurait du le rendre plus dynamique!-, et se jeta presque fiévreusement sur sa besogne. Il rangea avec précaution –et regret- le livre d'Alice dans la bibliothèque, et la maison Jadenoire pu dès lors observer avec curiosité une petite chose blanche et blonde courir un peu partout en chatonnant, pour dépouiller placards et tiroirs –les trouvait-il à l'instinct?- de tout ce dont il avait besoin pour le bien de sa mission.
Ce qui aurait pu s'apparenter à un vacarme digne d'un troupeau de gamins de huit ans à un anniversaire copieusement arrosé de citronnade se révéla beaucoup plus efficace qu'on ne l'aurait cru au premier abord; en un quart d'heure chrono (vous savez, dès lors que Monsieur Shift se plaît dégainer une montre pour jouer sur la survie de son chaton à quelques secondes près…l'habitude de survivre fait des miracles), la luxueuse maison de la chef des Arnaith perdit pratiquement toute trace du passage de la Bête.

"Missiiioooon accomplii-IHH?!"

Une main l'agrippa subitement, le coupant dans ses réjouissances d'après-guerre. Casey, les yeux arrondis de stupeur mais comme toujours docile, se laissa traîner par un Algol plutôt pressé à l'extérieur de la maison, histoire de faire connaissance avec la boîte aux lettres de Madame Jadenoire, une espèce de monstre vert et passif qui se contenta d'avaler le saint-graal shiftien avec un jappement métallique.
Casey se risqua à toucher du bout du doigt la chose, qui ne broncha pas, et au moment d'adresser un sourire rayonnant à son aîné, ce dernier en profita pour placer évasivement son au revoir.

"Pardon bonhomme, je ne peux pas rester. Je... je reviendrai, promis, pour te faire un câlin. Mais... là, je dois y aller. Tu as fais du bon boulot. A bientôt."

Hé mais…

Une caresse fugace dans ses cheveux blonds, et l'instant d'après, le léopard détalait déjà dans la rue écrasée de rayons solaires.

Mais…!

Tétanisé, le blondinet garda les yeux rivés sur la silhouette déjà lointaine d'Algol, sans comprendre. Il lui avait pas dit qu'il jouerait avec lui? Pourquoi est-ce qu'il court comme ça?

"Monsieur!"

Son appel était atteignait à peine le stade de cri. Casey s'accroupit soudainement, les oreilles en berne et la queue reposant inerte sur le sol brûlant. Alors, ce ne serait pas pour aujourd'hui…?

Les yeux dorés de la créature se levèrent une dernière fois sur le chemin désormais désert qu'avait emprunté par le léopard. Bon, s'il avait dit qu'il reviendrait…il avait toutes les raisons du monde de le croire, n'est-ce pas?