Etrange urgence

Le gardien faisait ses mots croisés habituels à l'entrée des urgences. Laisser passer les ambulances, pas les autres véhicules... travail ô combien passionnant...

"Vie parisienne en huit lettres... eh, tu ne peux pas passer par-là!"

Il se redressa brusquement dans sa guérite, mais Algol ne lui prêta aucune attention et franchit la barrière d'un bond nonchalant. Il avait rangé son foulard pour laisser son collier bien en évidence. Le sang d'Opale maculait son costume crème et lui donnait l'air d'un serial killer de série B. Le gardien lui hurla de faire le tour de l'hôpital, mais Algol se contenta de répliquer:

"Anarchie."

"Quoi?!"

"Vie parisienne en huit lettres. Anarchie."

Laissant le gardien bouche-bée dans son pot de yaourt, Algol accéléra le pas pour atteindre le hall des ambulanciers. Le corps blessé qu'il tenait dans ses bras devenait dangereusement froid: il devait se dépêcher.

"Y a-t-il un médecin ici?!"

Cri pour le moins inutile lorsqu'on entre dans un service d'urgences, mais on ne sait jamais. On se précipita vers lui avec un brancard et on lui arracha presque Opale des bras pour l'y allonger. Un homme en blouse blanche encore assez jeune demanda à la créature:

"Qu'est-ce qu'il s'est passé?"

Algol hésita à peine:

"Je me promenais avec ma maîtresse lorsqu'un membre de la Thianra nous a attaqué par surprise. Je n'ai pas réussi à intervenir à temps, il avait déjà blessé ma maîtresse."

Employer ce mot le gênait beaucoup, mais il n'avait pas le choix. Le jeune médecin sembla réfléchir un moment, puis il baissa les yeux vers les flancs entaillés d'Algol.

"Tu es blessé. Viens, je suis le vétérinaire de service, je vais examiner ça."

"Mais..."

"Ne t'inquiète pas, on s'occupe de ta maîtresse. Viens, ce serait bête que tes blessures s'infectent."

Algol fit un effort pour dissimuler sa contrariété: il aurait préféré être loin de l'hôpital au réveil d'Opale, mais résister davantage aurait éveillé les soupçons. Il se laissa donc de mauvaise grâce conduire dans une salle annexe.

Quand Opale reprit connaissance, elle vit deux infirmières et un medecin s'affairer autour d'elle. Elle jeta un rapide coup d'oeil a la salle, a coter d'elle il y avait une sorte de prompteur relie a un capteur posé sur sa poitrine. Tip...tip...tip...Voila le bruit que faisait en continu la machine. Son bras blesser était bander du poignet jusqu'a l'épaule et maintenu par une écharpe attachée derrière sa nuque. Ses vetements avaient été jeter pele mele dans un coin de la salle et Opale avait sur elle la chemise frappée du blason de l'hopital. Elle tenta de se redresser mais une infirmière l'en empecha.

"Mademoiselle, restez allongée...Vous devez vous reposez !"

"Qui...qui est-ce qui m'a ammenée ici ?"

"C'est votre créature mademoiselle..."

C'était le medecin qui lui avait repondu de sa voix grave en continuant de griffoner quelques mots sur une feuille qu'il replaça au pied de son lit. Sa créature...Mais Opale n'avait pas de créature...Docilement, elle se rallongea sur le lit en attendant que l'équipe medicale sorte de la pièce. Une fois qu'elle fut seule, elle se debarrassa des capteurs et autre perfusions qu'elle avait un peu partout et parti dans les couloirs. Encore faible, elle se tenait au mur pour avancer quand elle passa a coter d'une salle et il était inscrit sur la porte de celle ci: Cabinet Veterinaire. Par la petite lucarne, Opale apperçu Algol en train de se faire soigner lui aussi. Elle se mit donc assise sur une chaise et attendit patiemment que la creature sorte de cette pièce. Elle avait une question qui lui trottait dans la tête depuis que le medecin lui ait reveler qui l'avait ammenée aux urgences.

*Un vétérinaire... les humains sont vraiment tombés bien bas pour envoyer des êtres vivants intelligents et s'exprimant comme eux chez le vétérinaire...*

Algol poussa un long soupir. Il était assis sur la table d'examen, torse nu, tandis que le médecin désinfectait ses plaies. Il ne faisait pas chaud dans la salle, mais le félin dont était issu le sous-chef vivait dans l'Himalaya... Le froid était donc une chose très relative pour Algol. Le vétérinaire marmonna.

"C'est étrange, d'habitude la Thianra n'utilise pas les fouets. Je me demande qu'est-ce qui est encore passé par la tête de ces bestioles. A quelle race appartiens-tu?"

"Léopard."

"Seulement léopard?"

"Non, léopard des neiges."

"Ah, c'est bien ce que je pensais. C'est plutôt rare. Ta maîtresse a dû te payer cher."

Il acheva de bander les plaies d'Algol et finit en collant un morceau de sparadrap sur la joue de son patient, avant de ranger son nécessaire de désinfection. La créature tendit la main vers sa chemise, mais le vétérinaire interrompit son geste:

"Tu ne vas pas remettre ça, c'est plein de sang."

Il lui tendit une chemise en toile légère, coupée un peu plus près du corps que les pyjamas des patients humains. Et puis elle était abominablement disgrâcieuse à côté du si distingué costume trois pièces d'Algol... Il saisit le vêtement en serrant les mâchoires.

*Même les pyjamas diffèrent... ces humains sont vraiment trop cons quand ils s'y mettent.*

"Merci pour votre aide."

"De rien. Tu peux aller attendre ta maîtresse dans l'entrée."

Et puis quoi encore? Les nerfs d'Algol en avait assez enduré pour des mois, et tout cela pour quoi? Sauver son ennemie. Sa légère schizophrénie devait être en train d'envahir son cerveau pour qu'il manque de jugeote à ce point!

Lorsqu'il sortit du cabinet, il était de fort mauvaise humeur. Et croiser soudain le regard d'Opale, qui semblait s'être assez remise pour l'attendre sur une chaise du couloir, ne lui apporta aucun changement bénéfique.

"Qu'est-ce que tu veux de plus? Que je vienne te lécher les doigts?"

Pour toute réponse a la remarque sarcastique d'Algol, Opale lui fit un leger sourire en coin accompagnée par un hochement de tete. Elle se releva et se tenait debout en face de la créature. Qu'elle étrange situation...Il y a peine deux heures, ils étaient en train de s'entre-tuer dans un cirque et maintenant ils étaient tout deux soigner et se tenaient debout dans un couloir où les medecins presser les bousculaient pour passer.

"Non, je voudrais simplement que tu me reponde: Pourquoi tu m'as ammenée ici ?"

Opale avait parler a voix basse presque inaudible pour les humains mais Algol avait les sens plus developpé que la moyenne avait surement du l'entendre. Elle le fixait toujours mais son sourire ironique et son air arrogant qu'elle arborait au debut de leur rencontre mouvementée avait repris le dessus.

*Bonne question.*

Algol était d'autant plus embêté que lui-même ne savait pas pourquoi il avait fait cela. Pourquoi sauver celle qu'il avait vaincue dans un combat à la loyale, celle qui s'était rendue compte qu'il avait une sainte horreur des fouets et qui en avait usé sans scrupules?

Il pensa un instant que cela avait un rapport avec Ophélie, mais il abandonna aussitôt cette solution: Opale n'avait rien de commun avec Ophélie, rien. Algol ne retrouvait son ancien amour ni dans l'aspect physique de l'humaine, ni dans son sourire railleur, ni dans ses intonations moqueuses et assurées.

*Mais alors pourquoi?*

"Peut-être parce que moi non plus je ne voulais pas te tuer, mais plutôt t'apprivoiser..."

Il ponctua sa phrase d'un petit sourire goguenard. Oui il avait de l'intérêt pour Opale, c'était indéniable. Mais ce n'était pas un intérêt sain et franc: elle voulait le mettre en cage pour mieux comprendre sa nature, il avait envie qu'elle vécût pour découvrir la sienne. Quitte à la tuer ensuite. En pensant cela, Algol omettait fort opportunément de se rappeler qu'il avait failli ne pas gagner cette bataille, et que rien ne lui assurait la victoire dans la prochaine.

"Tu devrais aller te recoucher: je n'ai pas envie de me battre contre une poupée exsangue à notre prochaine rencontre."

Il eut un clin d'oeil moqueur avant de se diriger vers la sortie des urgences: il n'avait que trop traîné ici.

"Merci..."

Se contenta de murmurer la jeune femme. Murmure qu'il n'avait surement pas entendu puisque Algol était déjà sorti de l'hopital. Il lui avait conseillé d'aller se recoucher, ah ça non ! Opale avait une sainte horreur des hopitaux et de rester allongée sans rien faire. Elle retourna dans sa chambre et enleva la chemise de nuit gentillement preter par l'hopital et reveti ses habits déchirés et maculés de sang. Afin de ne pas se faire remarquer, elle sorti par l'issue de secours. Dehors, il pleuvait et il faisait déjà nuit. Opale pressa le pas pour rentrer au plus vite chez elle.