Lever de soleil

Une douce lumière filtrant à travers les rideaux tira Catleyn de son sommeil de plomb. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas aussi bien dormi! D'excellente humeur, elle regarda le réveil : 11h11. cela la fit sourire. On raconte que dans ces cas là quelqu'un pense à vous... Son sourire s'effaça : personne ne pouvait penser à elle puisqu'elle n'était liée à personne, sauf peut-être à Opale. Elle soupira et se leva, quittant le refuge de ses draps et ouvrant en grand les rideaux qui allèrent baigner de lumière la chambre spacieuse au lit à baldaquin, à la tapisserie jaune et orangée, aux meubles de chêne...

Elle descendit de son pas feutré vers la cuisine, résolue à prendre un bon petit déjeuner. Elle sortit le lait, le chocolat, le pain de mie et le nutella. Petit déjeuner gourmand aujourd'hui! Elle alluma la radio, laissant la musique envahir la pièce. Elle s'installa et mangea, son regard se portant dehors. Elle pensa à Algol. Il ne devait pas avoir mangé encore. Elle décida d'aller le voir et le trouva adossé au mur, contemplatif. Elle ne portait qu'une nuisette légère et assez courte, mais cela ne semblait pas la géner de se promener en si petite tenue devant lui. D'un ton faussement enjoué, elle ouvrit grand les rideaux :

- "Belle journée non? Allez ne fais pas cette tête! Je te laisserais sortir après manger d'accord?"

Elle se rendit compte de ce que ses paroles avaient de peu délicates et perdit son ton enjoué avant de demander avec sérieux et une légère gravité :

- "Tu veux manger quelque chose?"

L'idée que théoriquement c'était à lui de faire ce genre de chose et que les rôles étaient inversés l'effleura. Mais Algol ne serait jamais son domestique. On n'asservit pas un tel félin... Mais peut-être qu'en s'y prenant avec douceur et tact réussirait-elle à tirer quelque chose de lui?

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque l'ouïe affinée d'Algol entendit le pas caractéristique de Catelyn à l'étage, puis dans les escaliers. Elle alluma la radio dans la cuisine, sur une chaîne musicale apparemment. Signe qu'elle était de bonne humeur. Bien, cela faisait au moins une personne dans cette maison qui s'était levée du bon pied. Algol n'eut pas à attendre longtemps avant d'entendre la clé tourner dans la serrure du petit salon et de voir entrer la jeune femme qui s'était appropriée sa vie. Du coin de l'oeil, il nota qu'elle se promenait en nuisette avec aussi peu d'émotion que si elle passait devant son chien. Constatation acide qui aurait prodigieusement énervé Algol quelques mois auparavant, mais à présent il commençait déjà à se résigner.

Catelyn tira les rideaux, poussant la créature aux yeux plus sensibles à cligner des paupières. Un grand soleil, dont il pouvait sentir la chaleur à travers la vitre. L'expression peinée qui dû passer sur son visage ne manqua pas de lui attirer une remarque de Catelyn, et aussitôt ses traits se fermèrent tandis qu'il adressait un vif regard ambré à la jeune femme. Le laisser sortir, hein? Si elle croyait lui faire plaisir en utilisant cette tournure, c'était plus grave que prévu. Jamais elle n'aurait dit cela à une jeune humain, jamais elle ne l'aurait enfermé dans une cage, jamais elle ne lui aurait mis autour du cou une balise qui l'électrocutait à chaque fois qu'il passait un seuil qui lui était interdit. Catelyn était de bonne humeur? Soit, Algol avait décidé que lui ce serait l'inverse.

"Trop aimable... Mais non, je n'ai pas faim. Sauf pour quelques uns de tes doigts, évidemment."

Il se sentait l'envie de l'agacer. Il se releva donc, avec une facilité et une grâce de danseur étoile, avant de s'avancer jusqu'aux barreaux et d'appuyer dessus ses bras levés. Entre ses avant-bras, il dévisageait Catelyn avec un demi-sourire tout sauf aimable. Tout à fait sciemment, il ramena dernière son oreille la mèche qui tombait sur la partie gauche de son visage, révélant la cicatrice blanchâtre qui avait bien failli lui coûter son oeil.

"Il y a une chose que j'aimerais savoir: ça t'amuse de me voir comme ça? Tu m'en veux tellement d'avoir ébranler tes minables petites certitudes? Parce que dans ce cas je te rassure, tu peux pleinement savourer ta vengeance."

Catelyn se figea aux poremières paroles d'Algol. Bon d'accord, aujourd'hui, comme d'habitude d'ailleurs, Monsieur avait envie de la faire enrager. Ce qu'il arrivait plutôt bien à faire d'ailleurs. Elle se tourna vers lui, plongeant son regard ambre dans les prunelles d'or liquide du félin captif. Elle haussa les épaules.

- "Très bien, je vois que tu as décidé d'être désagréable aujourd'hui. Tant pis... Je vais te laisser savourer ta rancoeur plutôt qu'un bon petit-déjeuner."

Algol se releva avec grâce, une grâce que Cateltn lui enviait. Il la dévisagea un moment avec un petit sourire qui fit frissoner la jeune femme malgré elle. Un tel sourire sur le visage du félin était incongru et légèrement dérengeant. Ses paroles l'immobilisèrent. Elle ouvrit de grands yeux surpris. Enfin, il se décidait à évoquer sa captivité! Jusque là, ni l'un, ni l'autre n'avait abordé le sujet. Ce n'était sûrement pas à Catelyn de le faire : elle était la gagnante, elle n'avait pas s'expliquer ou se justifier... Pourtant, elle ne put s'empêcher de répondre :

- "Et qu'aurais-tu préféré? Que je te tue? Mais cette fois, comme la dernière, je n'ai pas pu me résoudre à t'abattre."

Elle soupira et se rapprocha de la cage, mais en gardant tout de même une distance de sécurité.

- "Tu crois que cela m'excite de te voir dans cette cage, comme un vulgaire animal? Que je prends mon pied à te voir te morfondre et à contempler ta déchéance? C'est cela que tu crois? Alors, c'est mal me connaître."

Son regard se porta sur la cicatrice du félin qu'elle lui avait infligée.

- "Ce jour là, c'était toi ou moi. Je pensais te tuer, mais non. Si tu avais gagné, qu'aurais-tu fait? Tu m'aurais tuée? Laissée partir? Je ne pouvais faire ni l'un, ni l'autre..."

Elle le regarda tristement.

- "Je ne tire nul plaisir à cette situation... Tu dois me trouver cruelle et sadique de t'avoir infligé ce sort, mais tu n'es pas si mal tombé que ça. Beaucoup de mes subordonnés se seraient fait une joie de t'exhiber comme un trophée. T'ai-je infligé cette humiliation? T'ai-je fait l'impression de savourer ce que tu es devenu? Je ne peux pas te laisser plus de liberté, je n'ai pas confiance en toi, tu chercheras à réunir les survivants et ça, je ne peux le permettre."

Elle s'abstint de lui dire qu'elle était déjà assez inquièe comme cela que Noah soit resté introuvable. Etait-il mort? Ou reconstituait-il ses forces pour une nouvelle bataille? Inutile d'en parler à Algol, elle ne voulait pas qu'il nourisse un espoir de se sortir de là.

- "Je ne te fais pas ça parce que tu as ébranlé mes minables certitudes comme tu dis. Certes, je t'en ai voulu pour cela. Tu n'as pas à me juger pour ce que je suis, tu ne sais pas tout de moi..."

Algol avait sagement écouté la tirade de la chef des Arnaiths, et son sourire dérangeant s'était effacé de son visage au fur et à mesure que son expression se faisait à la fois plus rageuse et plus triste. Elle osait, en le regardant bien dans les yeux, prétendre qu'elle s'était montrée clémente en ne l'affichant pas ouvertement comme un trophée, en ne l'emmenant jamais au QG des Arnaiths? Elle osait croire une telle chose?

"En tout cas j'en sais assez sur toi pour constater à quel point tu n'as rien compris aux créatures. (léger coup d'oeil à l'estomac de la jeune femme, comme s'il cherchait la cicatrice à travers la nuisette) Si nous valons les humains, nous n'en sommes pas: nous ne pouvons pas nous enfermer dans des bureaux mal aérés pendant des heures sous le prétexte de gagner sa vie, nous ne supportons pas les barreaux et les colliers. Tu dis que ça te peine d'assister à ma déchéance. Est-ce que tu as la moindre petite idée de ce que tu m'infliges en me mettant en cage?"

Un court silence, comme pour mettre Catelyn au défit de lui répondre oui. Puis il lâcha un profond soupir et fit deux pas en arrière pour aller s'appuyer contre le mur, le visage fermé.

"Non, bien sûr que tu ne le sais pas, comment le pourrais-tu? Tu m'as obligé à contracter une dette de sang envers toi en m'épargnant à la caserne, puis tu as alourdi cette dette en me laissant m'enfuir de l'hôpital. Et maintenant, comme si cela ne te suffisait pas de m'avoir humilié en me battant pour le seconde fois, tu m'enfermes et tu trouves encore le moyen de prétendre que tu t'es montrée indulgente? Eh bien puisque tu as enfin le tact de me poser la question: oui, j'aurais préféré que tu me tue."

Son regard glissa un instant sur les formes harmonieuses et les jambes fuselées que la tenue si légère de Catelyn laissait apparaître. Avec une certaine ironie, il se fit la réflexion qu'il avait toujours préféré les humaines aux créatures, même si celle qui lui faisait face n'était pas son style de femme. Il se rendit compte alors de ce que son regard pouvait avoir de pesant pour Catelyn, et un sourire légèrement espiègle vint passer sur ses lèvres:

"Ca te met mal à l'aise que je te regarde comme ça?"

Il redressa légèrement la tête et dis avec lenteur:

"Je ne suis pas un animal sauvage dépourvu de sensibilité, Catelyn des Arnaiths, encore moins un animal de compagnie. Si j'étais un être humain, tu ne t'étonnerais même pas que je te regarde de la sorte, non? Alors ou tu prends l'habitude de t'habiller, ou tu t'y fais: j'ai vingt-six ans et une espérance de vie égale à la tienne. Si tu comptes me garder ici pour le restant de mes jours, tu ferais mieux de te rendre compte très vite que je ne suis pas ton gros matou personnel."

C'était risqué de la provoquer de la sorte alors qu'il avait autour du cou une électrode qu'elle pouvait déclencher selon son bon plaisir, mais au point où il en était...

Catelyn l'écoutait parler sans mots dire. Que pouvait-elle répondre de toute façon? Cette discussion la mettait malà l'aise, mais en même temps, cela la soulageait de pouvor enfin avoir une explication avec lui, si houleuse soit-elle. Elle allait lui répondre quand elle remarqua que le regard du félin s'attardait sur le corps de l'Arnaith. Alors, de dominante, elle devint dominée et rougit devant cet examen silencieux. Elle ne savait pas si cela était flatteur ou au contraire dégradant. La tirade d'Algol laissait clairement comprendre qu'il avait les mêmes désirs sexuels que les humains. cela la laissa pantoise. Une créature pouvait-elle trouver attirante un humain? Son esprit renâclait à accepter cela. Elle-même ne trouvait aucun attrait à ces hybrides. Ils étaient trop différents, trop sournois et imprévisibles... Trop différents. Et cependant, elle devait admettre qu'Algol, s'il avait été humain, aurait été tout-à fait à son goût. Il ne manquait pas charme, ni de prestance. Mais c'était une créature.

Honteuse du cour de ses pensées, elle secoua la tête d'un geste agaçé et vint se planter devant lui, des étincelles de colère dans les yeux. Comment osait-il lui parler de la sorte? Elle fut tentée de lui envoyer une décharge pour lui rappeler à qui il s'adressait mais renonça. Sa colère tomba d'un coup et ce fut d'une voix étrangement douce qu'elle demanda :

- "C'est la cage qui t'humilie le plus, c'est ça? Très bien, je l'enlèverais. Je n'ai pas envie d'être en perpétuel conflit avec toi. J'attendais juste que tu daignes enfin parler et t'exprimer pour prendre des mesures."

Elle pencha la tête, une lueur compatissante dans le regard :

- "Il t'en as fallu du temps pour guérir et je ne parle pas que des blessures physiques. Je n'ose imaginer ma réaction à ta place. Voir ainsi sa vie et ses idéaux détruits doit être une expérience insoutenable. Mais aussi étrange que cela paraisse, je suis heureuse que tu te relèves enfin."

Elle le dévisagea lentement.

- "Je ne sais pas enore très bien comment te considérer... Difficile de t'imaginer comme mon esclave, mais devenir amis le serait encore plus, non?"

Elle sourit lentement, il n'y avait aucune trace de méchanceté chez elle.

- "J'ai de l'estime pour toi, plus que tu ne le penses, malgré le fait que tu sois une créature. Je n'ai rien contre toi personellement, mais j'ai quelque chose contre vous tous. On ne raye pas des années d'endoctrinement et de rancoeur en quelques mois..."

Sa voix s'était faite lointaine. Comment allait-elle s'y prendre avec lui? Elle ne pouvait pas lui laisser trop de libertés, il était trop dangereux, car beau parleur. C'était un véritable casse-tête...

Algol secoua lentement la tête: non, ce n'était pas aussi simple. Il ne parvenait pas à accepter cette double conduite qui était celle de Catelyn, cette hésitation permanente entre son statut de chef des Arnaiths et sa personnalité profonde. La jeune femme n'était pas mauvaise, il n'était pas idiot au point de ne pas s'en rendre compte. Mais il n'aimait tout de même pas ce ton doux sur lequel elle lui parlait, et il ne se sentait pas du tout prêt à accepter cette main qu'elle lui tendait. Il eut un geste fatigué du bras:

"Laisse donc la cage. L'enlever fera simplement passer les barreaux du concret au concept, ça ne les fera pas disparaître et ça ne me rendra pas les choses moins difficiles, au contraire: ne me donne pas l'impression d'être libre alors que ce n'est pas le cas. Et puis, ça vaut mieux pour toi que je sois enfermé."

Pourquoi cette dernière phrase? Rien ne l'obligeait à préciser une chose pareille, et rien ne l'obligeait non plus à détailler sa réponse. Et pourtant, tandis que son regard doré vagabondait du côté de la fenêtre, il sentit les mots venir tous seuls à ses lèvres, il s'entendit prononcer avec douceur des paroles qu'il n'avait jamais accepté de lâcher qu'une seule fois, devant Noah. Pourquoi Catelyn, pourquoi ce jour-là? Peut-être parce qu'elle avait marqué un point: sa vie était finie, il n'avait plus rien à espérer, donc plus rien à cacher.

"Je suis fou, tu sais. Pathologie mentale aggravée. Tu t'en es sans doute rendue compte à la caserne, je suis vraiment malade, dangereux. Et cela je le dois aux humains, si avides de perfection génétique, si satisfaits de leur pouvoir et de leur maîtrise de la nature. Lorsqu'ils ont manipulé des générations de croisements de léopards des neiges pour obtenir des individus parfaits, ils ne se sont pas une seule seconde demandé comment ces créatures pourraient être normales en naissant avec tant de tares."

Ses yeux vinrent se fixer dans ceux de la jeune femme.

"A quinze ans, le fils de mes propriétaires a décidé de sortir le fouet de son père pour me battre et amuser ses copains. Il avait treize ans. Je l'ai défiguré et j'ai failli le tuer. La punition s'est faite au fouet, comme tu peux t'en douter. J'ai survécu, mais je ne m'en suis jamais vraiment remis, tout comme j'ai mis très longtemps avant de comprendre comment j'avais pu attaquer quelqu'un avec mes propres griffes. J'ai été revendu..."

Sa voix se brisa sans signe avant coureur et il fut contraint de s'interrompre. Il souffla un instant, se passa une main sur le visage et reprit, mais sans trouver le courage de continuer à regarder Catelyn dans les yeux.

"J'ai été revendu à une jeune femme qui devait avoir à peu près ton âge. C'est elle qui m'a appris à lire, à écrire, à m'habiller comme un être civilisé. Elle m'a passé ce collier que je n'ai plus jamais ôté depuis. (un silence) Je l'aimais. Nous nous aimions, en fait. Je crois même pouvoir dire que nous étions heureux. Et un soir, ça s'est terminé. Elle recevait du monde, et l'un des invités l'a agressée. Ca m'a mis hors de moi, vraiment hors de moi. Et quand... quand j'ai repris conscience, je les avais tous tués. Tous. Vingt et une personnes. Elle, je l'avais éventrée de mes mains."

Silence pesant. Algol se laissa glisser en position assise, comme si ses jambes avaient du mal à le porter davantage, et il acheva d'un voix rauque:

"Je ne supporterai jamais la captivité. Un jour je craquerai, et décharges électriques ou pas je sortirai d'ici. Je te tuerai toi, et tous les êtres vivants qui croiseront ma route, humains ou créatures. Je ferai un carnage, jusqu'à ce qu'on m'arrête d'une balle en pleine tête."

Il releva la tête, dévoilant sa mâchoire tremblante et son regard douloureux qui retenait à grand peine ses larmes. Il découvrit les crocs et cracha d'une voix soudain venimeuse, pleine de cette haine qu'il se vouait à lui-même:

"C'est ça que tu as mis en cage: un monstre, une bête sauvage dépourvue d'âme et d'honneur! Reprends ton estime, abats-moi sur-le-champ et trouve un humain qui sera digne de ton intérêt, c'est encore la meilleure chose que tu puisses faire! Voilà pourquoi tu aurais dû me tuer quand tu en avais l'occasion et que tu dois me garder enfermé, tu es satisfaite que je te donne raison?!"

Puis il craqua et laissa tomber sa tête sur ses genoux pour l'enserrer de ses mains tremblantes. Un léger gémissement s'échappa de sa gorge. Pourquoi avait-il fait cela, pourquoi avait-il raconté cette horreur? Même si elle l'euthanasiait dans la semaine, Catelyn allait forcément en parler à Opale. Quelle image il allait lui laisser... Oh il en avait assez, il en avait tellement assez... Catelyn avait raison, il n'était vraiment plus rien.

Catelyn resta pétrifiée et médusée devant cette avalanche de confessions. Pourquoi lui racontait-il tout? Elle ne voulait pas savoir qui il était! Elle ne voulait pas le comprendre... C'était trop difficile de mépriser quelqu'un qu'on comprenait! Elle voulu s'en aller, le laisser à son passé, se boucher les oreilles et crier à tue-tête pour ne pas l'entendre lui débiter sa vie. Mais, elle ne fit rien de tout ça. Elle le regarda, passer de la tristesse à la véhémence avant de sombrer dans le désespoir. Inbconsciemment, elle se laissa, elle aussi, tomber à terre, abasourdie devant tant de malheur.

Il avait attaqué une première fois ses propriétaires et cela lui fit un écho douloureux de son passé. Il avait trahi ses maîtres, comme elle avait été trahie. Mais son ami d'enfance avait-il lui aussi eu une tare comme Algol? cela expliquerait-il son geste plein de haine? Non, même si cela l'aurait consolée, il avait été pleinement consicent et l'avait exécutée froidement...

Puis, il avait connu une existence plus heureuse. Catelyn admira malgré elle cette femme qui avait fait fi des barrières érigées par la société et était tombée amoureuse de son serviteur. Mais, il avait tout gâché. Comment pouvait-on survivre en sachant qu'on avait tué celle qu'on aimait? Difficile à dire, Catelyn n'avait jamais aimé d'hommes, en tout cas pas comme dans les livres...

Elle avala péniblement sa salive et regarda Algol s'effondrer sous le coup de trop d'émotions. Que dire? Que faire? Il n'était rien pour elle, rien! Ils étaient ennemis, voilà tout. Et pourtant, la confidence du félin venait de les lier, inexorablement. Elle ne pourrait plus le voir du même oeil désormais... La voix de la jeune femme s'éleva, légèrement tremblante :

- "Pourquoi me dire tout ça? Pourquoi?"

Incompréhension totale de la part de Catelyn.

- "C'était donc la mort que tu souhaitais? Mettre fin à tes tourments..."

Elle se passa une main tremblante dans ses longs cheveux noirs.

- "Je ne voulais pas connaître ta vie... Je ne veux pas te comprendre..."

Elle se mordit la lèvre. La journée avait si bien commençé... Sans s'en rendre compte, elle parla à nouveau :

- "Très bien, puisque tu m'as obligée à entenre ton histoire, je vais te raconter la mienne..."

Elle prit une brusque inspiration :

- "Je suis née dans une famille aisée. J'avais des parents aimants, des soeurs adorables, une jolie vie, pleine de gaité et d'innocence. Nous avions des serviteurs bien sûr. Mais ils étaient bien traités. L'un d'eux, un félin un peu plus âgé que moi était mon ami. Mes parents ne s'opposèrent pas à cette amitié contre nature. Les créatures du manoir étaient toutes gentilles avec moi... La trahison n'en fut que plus dure."

Elle s'interrompit, même après tant d'années, le souvenir restait toujours aussi vivace.

- "J'avais 10 ans quand je suis morte... Les créatures se sont rebellées, excitées par la Thianra et ont massacré ma famille. J... j'ai tout vu. Je me suis cachée, mais mon ami m'a retrouvé... et il m'a planté ses griffes dans le ventre, sourd à mes supplications et à nos années d'amitié. j'ai tout perdu ce jour là, ma famille, ma maison, mon innocence et ma vie. Je suis restée dans le coma pendant quelques jours et à mon réveil, il y avait une femme... Une arnaith. Elle s'occupa de moi. Je te laisse devi,ner la suite..."

A nouveau, elle se tut. Pourquoi lui avait-elle raconté son histoire? Pour le punir de lui avoir raconté la sienne? Elle ne savait pas...

- "Le jour où nous nous sommes battus à la caserne... Je t'ai vu devenir fou, comme tu dis... Mais tu ne m'as pas tuée et j'ai même réussi à te ramener à la conscience non? Pourquoi cela serait-il différent la prochaine fois? Mais je ne comprends pas... Pourquoi n'as tu pas perdu le contrôle lors de... enfin, la dernière fois?"

Si ses nerfs n'avaient pas lâché, Algol aurait pu en rire. Il était encore plus mal tombé que prévu, alors... Il comprenait enfin la violence avec laquelle Catelyn avait réagi à l'hôpital, lorsqu'il avait évoqué le fait qu'il avait tué des gens qui avaient confiance en lui. Comment ne pas détester la Thianra après une telle expérience? Et elle qui prétendait ne pas vouloir le comprendre... En effet, il la mettait dans une situation difficilement soutenable.

Algol ravala ses larmes juste avant de les verser et rejeta la tête en arrière, les yeux fixés sur ce plafond beaucoup trop bas à son goût. Lentement, il se calma. Ce qui était fait était fait, il ne servait à rien de se lamenter sur ce qu'il avait raconté ou sur les atrocités qu'il avait commises. Pourquoi avait-il confessé tout cela? Mais parce qu'il était en cage depuis huit mois, que son meilleur ami et ses compagnons n'étaient plus, que ses convictions étaient réduites à néant. Parce qu'au moment où il commençait à se pardonner pour Ophélie, au moment où un nouveau sourire commençait à lui faire envisager l'avenir sous un jour meilleur, Catelyn l'avait privé de sa liberté. Il avait craqué, tout simplement. Et il n'était qu'un tout petit peu réconforté de voir que la nouvelle chef des Arnaiths n'était pas mieux loti que lui.

"Je ne sais pas vraiment comment ma maladie fonctionne. Je sais que je réagis surtout aux fouets, à la douleur, à la peur. Je sens quand est-ce que je commence à m'énerver, et je sais que si mon corps ne supporte plus ce que je lui impose, il me lâche et je reprends conscience de ce que je fais. C'est ce qu'il s'est passé à la caserne. Mais à la Thianra..."

Il avait autre chose en tête. Il s'inquiétait pour Opale, il avait viscéralement peur pour elle. Et peut-être que malgré la souffrance et la perte de sang, malgré cette impulsion sauvage de se venger, le fait de la savoir proche l'avait-il aidé à se retenir, de peur que le cauchemar ne recommence...

"Peut-être que j'avais trop d'alliés et des personnes auxquelles je tenais autour de moi, et qu'inconsciemment je ne voulais pas leur faire de mal."

Algol abaissa la tête pour examiner Catelyn. A présent que son regard était sec et que son coeur retrouvait son rythme normal, il se rendait compte à quel point la jeune femme qui s'était laissée tomber dans un fauteuil non loin de lui était fatiguée, elle aussi, et il ne lui avait pas facilité les choses en lui assénant son horrible histoire. Mais lui-même se sentait mieux, bien mieux à présent. Il trouverait bien un moyen de s'échapper, tôt ou tard. Il était patient et malin, deux atouts non négligeables en pareille situation. Il avait perdu assez de temps à se morfondre. Il reprit donc la parole, d'une voix plus légère qui ressemblait beaucoup à celle qui était sienne avant ces huit mois de captivité:

"Tu as raison, nous ne valons vraiment pas mieux l'un que l'autre: nous sommes tous les deux aussi illogiques que pitoyables. Je ne serai pas ton ami et tu ne seras pas la mienne, tu te méfies trop de moi et je t'en veux trop de m'avoir condamné sans procès à la prison à perpétuité. Ceci étant dit, je ne crois pas que nous avancerons en restant chacun prostré dans notre coin. J'aurai ma revanche, sois en certaine. Maintenant, je te suggère de poursuivre cette conversation lorsque tu te seras fait un café bien serré et que tu te seras un peu remise."

Pour la première fois depuis la chute de la Thianra, il reprit son petit sourire goguenard.

"Oh, et si tu vas à la cuisine, le gros matou ne serait pas contre un bol de lait chaud..."

Catelyn remarqua le changement dans la voix d'Algol, changement qui ne lui échappa pas. Le félin reprenait du poil de la bête et venait de prendre une résolution. Elle fut surprise par ses dernières paroles. Elle devait avoir une tête épouvantable maintenant. Cependant, le ton de son captif lui arracha un sourire. Elle se leva et répondit d'un ton ironique lorsqu'il lui conseilla de se faire un café bien serré :

- "Oui, maman..."

Elle aussi retrouvait son ton mordant.

- "Je croyais que tu n'avais pas faim... Il faudrait savoir ce que tu veux!"

Elle se dirigea vers la cage d'Algol et sans un mot, l'ouvrit, laissant la voix libre au félin. Elle s'expliqua d'un ton ironique :

- "Ne va pas inverser les rôles s'il te plaît. C'est déjà bien beau que j'accepte que tu refuses de me servir... Alors, si tu veux quelque chose, vas-y toi-même."

La menace d'Algol de s'enfuir un jour stimulait Catelyn. Les choses étaient bien claires entre eux. Pas de confiance, de la rancoeur... Elle vivait sans doute avec un danger perpétuel, mais cela ne faisait rien. Au fond d'elle, elle doutait qu'il la tue un jour, comme elle était incapable de le faire. Elle élargit légèrement le champ de liberté du félin et l'enjoignit de la suivre jusque dans la cuisine.

En réponse à la remarque de Catelyn concernant son soudain appétit, Algol leva les yeux au ciel:

"Comme si tu ne savais pas pertinemment que j'ai toujours faim, surtout le matin, et que je t'ai répondu que non uniquement pour te..."

Il s'interrompit en voyant la jeune femme se lever et venir ouvrir la porte de sa cage. Elle fit un geste vers le boîter accroché au mur et Algol la vit tourner la mollette pour élargir le champ de sécurité de son collier à l'ensemble de la maison. Il aurait eu des oreilles de félin, elles se seraient dressées sur sa tête d'un air interrogateur. La justification de Catelyn lui arracha alors un petit rire:

"Ah non, vaguement me réconcilier avec toi, d'accord. T'appeler maîtresse, tu rêves."

Elle fit demi-tour tandis qu'il se relevait pour lui emboîter le pas. Il aurait pu être surprenant de voir avec quelle insouciance Catelyn lui tournait le dos, mais cela s'expliquait aisément: alors que pour élargir le champ de force du collier une simple mollette suffisait, seul un code digital permettait de le désactiver. Algol aurait dû l'arracher de force à Catelyn, et il n'en avait pas spécialement envie.

Arrivé dans la cuisine, le félin laissa sa propriétaire se préparer son café tandis qu'il ouvrait le frigo pour se saisir de la bouteille de lait. Cela avait fait rire Opale lorsqu'il lui avait avoué son faible pour cette boisson. Joli souvenir qui ne réussit qu'à le rendre triste. Algol secoua la tête pour la chasser de ses pensées. Huit mois, c'était trop long, et il craignait beaucoup qu'elle ne l'ait oublié. Elle était amie avec Catelyn, elle devait forcément savoir que l'ancien sous-chef était prisonnier chez elle, non? Algol se rendit alors compte que l'Arnaith le dévisageait d'un drôle d'air.

"Quoi?"

Puis il tiqua: le lait. Il venait de verser son lait comme s'il avait versé du vin, y compris avec le petit mouvement de poignet sur la fin pour récupérer la goutte qui restait sur le goulot. Il referma la bouteille avec un haussement d'épaules:

"Essaie de grandir dans un institut de dressage pour créature de luxe, tu verras. Il y a des réflexes dont on a du mal à se défaire. Au fait, ça existe toujours ces filières pour endoctriner les jeunes hybrides au service des tout puissants humains?"

Ah non, vaguement me réconcilier avec toi, d'accord. T'appeler maîtresse, tu rêves.

- "C'est bien ce que je pensais..."

Elle sourit, énigmatique et entraîna le félin derrière elle. Cela lui fit penser qu'elle ne lui avait encore jamais fait visiter la maison en entier. Arrivés dans la cuisine, elle prépara le café alors qu'Algol allait se servir tout naturellement dans le frigo. Elle l'observa et vit passer une expression de tristesse sur ses traits. Expression si fugitive qu'elle crut l'avoir rêver. Même vaincu, il restait fier. Elle le regarda se servir le lait, intriguée par cette drôle de façon de faire. Il se rendit compte qu'elle l'observait et s'expliqua. Ce fut à son tour de tiquer quand il parla des centres de dressages. Elle prit son temps avant de répondre, se servant une tasse de café.

- "Oui, ça existe toujours. Après tout ça, on a décidé de reprendre en main les créatures. J'ai suggéré qu'il valait mieux leur donner des bases d'éducation et bien les traiter. Il semblerait que l'on soit moins enclin à se rebeller lorsque l'on n'est pas opprimés et violenté, non?"

Elle porta son regard sur sa tasse de café et fit tourner le liquide noir, d'un air songeur.

- "Si tu as faim de quelque chose de plus consistant, il y a du pain et toutes sortes de cochonneries dans le placard à droite."

Elle porta sa tasse à ses lèvres et but une gorgée. Il était fort, idéal en ce moment.

Algol ne répondit pas à l'argumentation de Catelyn et il sortit du micro-onde son bol de lait pour commencer à le siroter distraitement, appuyé sur le plan de travail. Certes il valait mieux pour les jeunes créatures qu'elles aillent à l'institut et apprennent un minimum de choses, mais ce n'était finalement qu'une autre forme d'endoctrinement qui les empêchait de comprendre qu'elles avaient le même droit à la liberté que leurs maîtres.

Algol se rendit alors compte à quel point il ignorait tout de la situation au dehors, lui qui auparavant ne passait jamais une journée sans lire le journal. Il se demanda un instant si cela valait la peine de réclamer ce privilège à Catelyn, puis il décida que non: trop en demander à l'Arnaith ne ferait qu'entamer sa crédibilité. Et puis qu'en avait-il à faire de l'actualité tant qu'il était captif?

"Mouais... ça ne t'a pas échappé que j'étais plutôt carnivore, mais vu ton immense clémence je veux bien faire un effort."

De fait, il avait maigri pendant les huit derniers mois, et il n'avait pas spécialement bonne mine. Avec un peu de recul, il réalisait maintenant à quel point il avait été stupide: on ne peut pas tenter de s'échapper lorsqu'on meurt de faim. Il ouvrit un placard et chercha quelque chose de mangeable tout en demandant d'un air distrait:

"Et tu as prévu de sortir, ou vais-je devoir t'imposer ma présence (ou supporter la tienne) toute la journée?"

Catelyn ne releva pas les paroles légèrement ironiques du félin et se contenta de siroter son café, un petit sourire aux lèvres.

- "Désolée, mais je crois que tu vas devoir me supporter aujourd'hui... Allez ne fais pas cette tête, ce n'est pas si terrible. Et si je te faisais faire le tour du proprio?"

Elle songeait en effet à lui faire visiter sa demeure et surtout à lui donner accès à la salle de bain. En effet, il y avait bien un petit bac dans la pièce où il résidait, mais rien de comparable à la luxueuse salle de bain, munie d'une douche, d'une baignoire qui faisait jaccuzzi... Le félin n'avait pas bonne mine. Jusqu'ici, il s'était nourri du bout des lèvres... Mais il lui sembla bon de lui proposer le luxe d'un bon décapage.

Un sourire engageant auxlèvres, elle le regardait d'un air interrogatif, attendant qu'il se décide ou non à accepter sa proposition. S'il acceptait, il aurait la baignoire à la clé...

- "Alors, qu'en penses-tu?"

Algol tourna la tête, un sourire incrédule aux lèvres:

"Eh bien, je savais que j'étais l'hôte forcé d'une femme haut placée, mais j'ignorais qu'elle habitait un palace digne d'une visite guidée..."

Tout en refermant le placard (qui n'avait rien fourni de potable), il pesa rapidement le pour et le contre: il ne voyait pas très bien ce qui pourrait l'intéresser dans la maison - il avait toujours été relativement peu sensible aux ornementations des maisons humaines. Mais bon, il n'avait rien de mieux à faire, c'était ça ou la cage. Et puis cela conforterait ses progrès relationnels avec Catelyn. Il préférait continuer à se dire qu'il se montrait aimable juste parce que cela servait ses intérêts. Une vraie relation amicale, c'était trop périlleux à envisager.

"Pourquoi pas? Du temps que ce n'est pas payant..."

Il eut un signe ironique pour se désigner de haut en bas.

"Je serais bien en peine de te filer un pourboire. Même mes vêtements c'est toi qui les as payés. Quoique, j'ai le souvenir de l'une de tes charmantes collègues qui était très intéressée par le fait de m'arracher une griffe pour la pendre à son cou. Très équilibrées tes relations professionelles..."

Son expression ne changea en rien tandis qu'il déposait son bol dans l'évier, mais il n'avait pas pu s'empêcher de noter que cette poursuite dans les égoûts le ramenait encore à Opale. Il avait l'impression que toutes les pensées qu'il pouvait avoir le renvoyait immanquablement à la jeune femme. Désespérant. Il pivota sur ses talons et tendit le bras vers la porte avec une élégance toute féline et un sourire goguenard qui n'était pas dépourvu de charme - si on ignorait les crocs:

"Si mademoiselle la guide voulait bien se donner la peine de précéder l'animal de compagnie..."

Catelyn soupira et leva les yeux au ciel tout en marmonnant :

- "Je me demande si je ne te préférais pas prostré... Mes relations, comme tu dis, ne sont pas pires que les tiennes, j'ai déjà eu la visite d'un félin tueur, légèrement psychopathe... Les créatures ne sont pas des modèles de saineté d'esprit, ce me semble."

Elle regretta ses paroles aussi vite quelle les proononça. Elle se rendit compte de sa bourde et n'ajouta rien. Algol n'était pas, lui non plus, un modèle d'équilibre...

- "Bah, c'est le rôle de toute maîtresse de maison de veiller à la bonne tenue de son personnel..."

Ton légèrement moqueur et ironique. Voilà qui était mieux. Elle passa devant Algol, ignorant son sarcasme et le guida à travers la maison. Elle lui fit d'abord visiter le salon, douillet, avec tout un pan de mur recouvert d'une bibliothèque, des canapés de cuirs, des meubles laqués, très anciens. Il y avait une télé enfermée dans un meuble, mais catelyn ne la regardait presque jamais. Elle lui préférait mille fois les livres. Il y avait un canapé devant la cheminée, endroit idéal pour lire au coin du feu, sous un plaid. Elle se toruna vers Algol :

- "Voici ma pièce préférée. C'est ici que je passe le plus clair de mon temps libre."

Son regard se porta vers la bibliothèque avant de revenbir vers Algol, interrogateur :

- "Dis-moi... Tu sais lire? Enfin, je veux, dire... je pense que oui, mais aimes-tu cela?"

Algol avait emboîté le pas à Catelyn sans paraître relever son allusion au caractère instable de la plupart des créatures, exemple particulièrement mal venu en ce qui concernait le léopard des neiges. Il ne servait à rien de se braquer, l'Arnaith s'était rendue compte de son indélicatesse et n'avait pas insisté. Incident clos. Mais Algol n'en avait pas moins encaissé la réplique de manière plutôt douloureuse... Non, penser à autre chose. Un félin psychopathe? Ah oui, elle devait parler de l'Ombre, Algol se rappelait maintenant avoir entendu Noah parler de cette mission de renseignement. Tiens, encore une créature dont Algol n'avait plus entendu parler... Mais au moins une chose était sûre: si l'Ombre était vivante, elle était libre. Personne ne peut dompter une bête aussi féroce. Pas comme un gentil léopard qui se laisse promener par sa maîtresse dans la maison de celle-ci...

Le cours des pensées d'Algol aurait pu devenir franchement désagréable si Catelyn ne l'avait pas alors fait entrer dans le salon principal de la demeure. Une pièce grande et bien éclairée, bien plus accueillante que la petite annexe à une seule fenêtre qui constituait sa "cellule". Mais ce qui accrocha tout de suite le regard du félin, ce fut l'immense bibliothèque qui ornait le mur le mieux exposé. Peu lui importait les meubles et autres futilités, mais les livres, ça... Catelyn dut remarquer la manière dont il détaillait cette bibliothèque, car elle ne tarda pas à lui demander:

"Dis-moi... Tu sais lire? Enfin, je veux, dire... je pense que oui, mais aimes-tu cela?"

Algol la dévisagea tout d'abord en silence, en se demandant visiblement s'il allait répondre aussi sèchement que cette question l'insultait. Mais il préféra opter pour le calme: Catelyn se renseignait, ce n'était pas sa faute si elle posait des questions qui le froissaient.

"Je te l'ai dit, ma compagne m'a appris à lire. Quant à mon affection pour cette activité..."

Autre coup d'oeil amoureux aux étagères.

"Te rappelles-tu la première fois que nous nous sommes croisés, sous la Tour Eiffel? J'étais avec une jeune femme du nom de Jeena. Elle venait d'arriver à Paris et je m'efforçais de la rassurer un peu lorsque tu as si aimablement interrompu notre conversation. Eh bien je l'ai raccompagnée chez elle pour l'aider à porter ses bagages. Elle avait une grande bibliothèque, pas aussi vaste que la tienne tu t'en doutes, mais tout de même bien remplie."

Il s'approcha du meuble pour passer les doigts sur les tranches plus ou moins décolorées par le temps et l'usage.

"Elle m'a posé la même question que toi. J'ai bien été contraint de lui expliquer que même si j'étais un insatiable lecteur, j'avais bien du mal à assouvir cette passion à cause de simples panneaux. Tu sais, ces fameux panneaux que tu ne dois même plus voir à l'entrée des librairies et bibliothèques: "Chiens interdis, créatures refusées"..."

Algol jeta un fugitif regard doré à la chef des Arnaiths, avant de ramener sa main à lui comme si les livres s'étaient soudain faits brûlants. Il croisa les bras dans le dos et revint à Catelyn d'un pas nonchalant, avant d'ajouter sur le même ton monocorde:

"Jeena m'a prêté un livre ce jour-là, son préféré. Le Portrait de Dorian Gray. Je l'ai lu deux fois et j'avais l'intention de le lui rendre dans les prochains jours. Je l'ai laissé dans ma chambre à la Thianra. Je préfère ne pas imaginer ce qu'il en est advenu. Autre chose à visiter?"

Catelyn se sentit mal-à-l'aise sous le regard du félin. Elle avait bien senti qu'elle l'avait froissée en lui posant cette question, maladroite... Et mais et quoi encore? Depuis quand se souciait-elle de vexer une créature? Elle était le maître, elle n'avait pas à prendre en considération les états d'âme de son serviteur!

Quoiqu'il en soit, il fit un effort pour ne rien laisser paraître de ce qu'il pensait et répondit calemement, non sans jeter un coup d'oeil amoureux aux étagères. Il semblait effectivement aimer les livres. Il fit allusion à leur première rencontre à la tour eiffel.

- "Tu l'as raccompagée pour porter ses bagages? Quelle galanterie!"

Catelyn n'avait pu s'empêcher de prendre un ton légèrement moqueur. Algol passa ses doigts sur les livres et continua de s'expliquer, il regrettait de ne pas avoir accès aux bibliothèques... C'était vrai que la jeune femme n'y faisait plus attention...

Il la regarda à nouveau avant de retirer sa main et de la mettre derrière son dos avec l'autre. Il acheva sa petite histoire avant de lui demander s'il y avait autre chose à visiter. Catelyn hocha la tête sèchement avant de répondre :

- "Oui, il y a encore beaucoup de choses à voir, même si je me doute que cette pièce reste la plus intéressante pour toi!"

Elle l'emmena aux étages et lui fit découvrir la salle de bain avant de reprendre la parole :

- "Comme tu peux le constater voici la salle de bains. Si tu veux prendre un bain ou une douche, c'est maintenant."

La salle d'eau était immense avec une baignoire qui faisait jaccuzi, une douche, des lavabos, une armoire et des bougies un peu partout. Tout était carrelé de bleu.

Algol suivit le reste de la visite d'une seule oreille, encore songeur après les dernières paroles de Catelyn. La pièce la plus intéressante pour lui... Est-ce que cela voulait dire qu'elle le laisserait lire de temps à autres? Non, il devait extrapoler. Elle n'avait aucun intérêt à lui accorder un tel privilège, et il était trop orgueilleux pour le lui demander. Et pourtant, il en avait eu tellement envie en voyant ces étagères entières remplies de livres qui ne demandaient qu'à être feuilletés... Huit mois sans liberté, huit mois sans lire. Jamais il n'aurait pu penser être accroc à ce point à la lecture. Il en oubliait presque la seule autre chose qui lui avait encore plus manqué durant cette interminable période...

Heureusement la salle de bain vint chasser Opale de son esprit - enfin, un petit peu. Une pièce somptueuse, à peu près aussi grande que la totalité de ses appartements à la Thianra. Algol fit quelques pas sur le carrelage impeccable, sans pouvoir dissimuler une pointe d'envie: il avait passé toute sa captivité à se laver avec une bassine et un gant de toilette, ce qui mettait quelque peu à mal sa conception très féline de l'hygiène (il ne supportait tout simplement pas de se sentir sale). Se laver les cheveux, surtout, était devenu quelque chose de bien complexe. Catelyn prit alors la parole, comme en réponse à ses pensées:

"Comme tu peux le constater voici la salle de bains. Si tu veux prendre un bain ou une douche, c'est maintenant."

Algol se tourna brusquement vers elle, comme s'il s'attendait à ce qu'elle commence à lui rire au nez. Même après le cessez-le-feu du matin, jamais il ne se serait attendu à une telle proposition.

"Vraiment?"

Puis, en reprenant un peu de sa contenance:

"Si ce n'est pas une plaisanterie, sache que je te suis profondément reconnaissant de ce petit cadeau. Mais même si je sais à quel point tu te méfies de moi, j'apprécierais beaucoup de pouvoir prendre une douche seul."

Puis, comme s'il ne pouvait s'empêcher une touche de sarcasme, il ajouta avec un clin d'oeil:

"A moins que notre petite discussion sur les attirances humains/créatures ne t'ait échauffé l'esprit... Je te préviens, je porterai plainte pour tentative de viol."

Catelyn retint un sourire en voyant la réaction d'Algol quand elle lui proposa d'utiliser la luxueuse salle de bain. Elle se doutait bien qu'il ne pourrait refuser. Elle n'était pas une férue des félins, mais elle en savait assez pour deviner qu'ils étaient maniaques et adoraient la propreté. Il suffisait de voir les chats...

Il se reprit un peu avant de la remercier sincèrement. Puis, comme si le fait de simplement la remercier était dérangeant, il ne put s'empêcher de la provoquer à nouveau. Ce qui la fit éclater de rire. Elle aimait bien son esprit et sa façon d'en jouer.

- "Non, ce n'était pas une plaisanterie. Disons que c'est un gage de trève entre nous."

Elle se rapprocha de lui et lança, charmeuse :

- "Je dois avouer que tu es mignon, mais tu n'es pas mon genre!"

Elle rit à nouveau avant de s'écarter.

- "Sois tranquille, je ne violerais pas ton intimité... Ni autre chose!"

Elle sortit des serviettes de l'armoire et alla chercher un nouveau costume pour le félin. Elle posa le tout sur un petit tabouret, avant de lui lancer un petit clin d'oeil espiègle et de s'éclipser en refermant la porte derrière elle.

Algol laissa Catelyn s'éclipser avec un sourire en coin: parfois, il se demandait sincèrement s'ils n'auraient pas pu devenir amis dans une autre vie. La réponse était sans doute oui. Mais il ne servait à rien de se faire des illusions: la créature avait le collier, l'humaine avait la clé qui l'ouvrait. Pour cela, il n'aurait su être question d'amitié entre eux. Tout au plus une absence d'hostilité, ce qui était déjà assez difficile à gérer pour Algol - comme si ce n'était pas assez périlleux d'être tomber amoureux d'une humaine...

L'ancien sous-chef promena son regard autour de lui, puis il ouvrit un ou deux placards. Que cherchait-il? Peut-être un instrument miracle capable d'ouvrir le boîtier de son collier. Mais il ne se faisait pas d'illusion: l'équipement était conçu pour résister aux coups de griffes, ce n'était pas une lime à ongles qui allait en arriver à bout. Si Algol voulait s'évader, il lui fallait trouver un autre moyen.

Après quelques secondes de flânerie, il verrouilla la porte et se déshabilla sans hâte, sans oublier de plier soigneusement ses vêtements - qui de toute façon allaient finir dans le panier de linge sale, mais cela n'était qu'un détail. Vint ensuite une brève hésitation: bain ou douche? Son côté humain était tenté par le côté délicieusement lascif d'une baignoire emplie d'eau chaude, mais ce fut le félin et son aversion pour les étendues d'eau qui prima, et Algol opta pour la cabine qui occupait la place d'une baignoire ordinaire.

La caresse de l'eau chaude sur sa peau lui arracha un sourire: encore quelque chose qui lui manquait sans qu'il s'en rendît compte. Pour un peu, il en aurait ronronné. Algol s'autorisa alors quelques minutes de pause, et il bénéficia de son premier moment de détente depuis bien avant la chute de la Thianra. Depuis qu'il avait croisé le petit Casey, pour être exact. Tiens, encore un dont l'absence se faisait ressentir. Dire qu'Algol lui avait promis de revenir le voir... Pauvre chaton, il avait dû être bien déçu. Casey, Laïna, Anya... Le léopard des neiges coupa la douche avec un soupir: qu'étaient-elles devenues, toutes ces créatures qu'il avait pris plaisir à aider et à protéger? Le garçonnet devait aller bien, il était déjà esclave avant le massacre des rebelles. Mais les autres...

Algol se sécha et réintégra ses vêtements aussi vivement qu'il fuyait ses funestes pensées, avant d'essuyer soigneusement l'eau qu'il avait répandue sur le carrelage. Il le faisait sans même y penser, bien trop conditionné par ses années de dressage.

Il était vraiment reconnaissant à Catelyn de lui avoir autorisé l'usage de la salle de bain, et la sensation de ses cheveux humides et miraculeusement bien décrassés semblait à Algol quelque chose proche de la béatitude. A cet instant, il se fit la promesse que s'il parvenait à s'évader, il s'arrangerait pour faire le moins de mal possible à la jeune femme. Pensée qui lui tira un sourire ironique tandis qu'il sortait de la pièce: sa dette s'alourdissait de jour en jour, à ce qu'il semblait...


[je te propose de finir le topic là, comme ça on peut reprendre dans celui avec Silue]

[Pas de problème ]