Touchantes retrouvailles

La jeune fille avait toujours ses mains posées sur les joues du félin. Elle le regardait dans les yeux avec un sourire tendre. Sa gorge était humide des sanglots d'Algol et ça la brûlait. Pas une brûlure bien méchante non...Seulement encore ce foutu remord: Il avait pleurer alors qu'elle était restée, la jeune femme n'osait même pas imaginer ce qu'il se serait passer si jamais elle avait pris la fuite...Elle secoua lègerement la tête pour chasser de sa tête ses pensées un peu défaitiste. La grosse horloge sonna...Il serait bientôt temps pour elle de repartir.

Des pas dans l'escelier et le murmure d'Algol ramenèrent l'humaine sur Terre. La soirée était déjà finie...Cela avait passé si vite. La douce bouche d'Algol vint alors capturer la sienne. Quelle douce emprise que celle des lèvres de l'homme qu'on aime ! Les mains d'Opale glissèrent le long des joues de la créature et ses bras enserrerent la taille fine de celui ci. La main du jeune homme vint effleurer son visage et l'Arnaith la prit dans la sienne. Il lui conseilla alors de ne pas aller trop loin. Opale fit la moue. Si elle ne s'imposait pas à Catelyn comment celle ci accepterait de le laisser reprendre sa liberté ? Comme pour le rassurer, la jeune femme acquièsca d'un signe de tête.

"Très bien. Mais je ferais tout de même tout ce que je peut pour te sortir d'ici....Ou au moins, revenir te voir au plus vite."

Opale eut un petit sourire un peu teinté de tristesse. Elle aimerait tellement pouvoir rester assise sur les jambes du félin toute la nuit, de garder ses yeux plongés dans ceux couleur miel de l'hybride qu'elle aimait tant. Une main se posa sur la poignée de la porte du salon et tout ce passa relativement vite pour Opale. Elle embrassa Algol sur la tempe, lui glissant un "Je t'aime" au creu de l'oreille puis elle se releva. La jeune femme alla s'assoir sur l'accoudoir du fauteuil qui se trouvait à côté du canapé. L'Arnaith croisa ses mains sur ses genoux et décocha un petit sourire tendre au sous chef. Et voila, il n'y avait plus qu'à attendre que Catelyn entre dans la pièce pour que la soirée soit définitivement terminée. Opale soupira. Quel doux moment qu'elle venait de passer, dommage qu'il ne fût pas plus long.

La jeune femme avait un gout d'inachevé dans le fond de la gorge. Pourquoi le dernier baiser donné à Algol avait été si court et pourquoi est-ce qu'elle avait un peu froid maintenant ? Elle attendait déjà avec impatience le prochain moment qu'ils pourraient partager ensemble. Opale tourna la tête vers lui et lui fit un tendre sourire. Un bruit de porte qui s'ouvre retentit, la soirée venait de prendre fin...

Catelyn tournait en haut, essayant en vain de se concentrer sur ses papiers ou sur une tâche importante. Mais ses pensées ne cessaient de voleter vers le salon où étaient enfermés Opale et Algol. Avait-elle eu raison de les laisser seuls tous les deux?

*Ton trop grand coeur te perdra Cat... Et il risque de perdre Opale par la même occasion."

Dieu seul savait ce que se racontaient ces deux-là... Si ils parlaient toujours... Elle secoua la tête. Ridicule! Jamais Opale ne ferait quelque chose de compromettant avec SA créature! Mais une petite voix sournoise lui soufflait qu'elle avait raison de s'en faire. Que la façon dont le visage de l'adjointe Arnaith s'était illuminé à la vue d'Algol, n'était pas juste du au plaisir de revoir un ami.

Catelyn lutta encore un moment contre ces pensées venimeuses, quand elle décida de mettre fin à leur entretien. Elle se leva d'un mouvement brusque de son bureau et descendit les escaliers. Elle faisait du bruit, rop de bruit. PourquoI? Pour qu'inconsciemment les deux personnes du salon l'entendent? Pour qu'elle ne les surprenne pas en train de faire des choses proscrites? Pour sa tranquillité d'esprit? Pour tout ça bien sûr et plus encore.

Elle arriva devant la porte du salon, posa la main dessus, appuya sur la clenche et hésita. Elle soupira et secoua à nouveau la tête.

*Ridicule! Tu es chez toi Cat!*

Elle ouvrit alors la porte et trouva Algol et Opale sagement assis. Un peu trop sagement peut-être. Elle les regarda un moment silencieusement et esquissa un sourire légèrement feint.

- "J'espère que vous avez savouré comme il se doit ces retrouvailles...et que je ne vous dérange pas?"

Elle tourna la tête vers opale.

Opale gardait obstinément les yeux rivés sur le parquet. Elle avait compris, à l'instant même où Catelyn avait franchi le pas de la porte qu'une querelle allait éclater entre elles deux. Elle savait aussi qu'elle se mettrait à sourire aux anges si elle regardait Algol alors la jeune femme avait opté pour un compromis et gardait tête baissée. L'Arnaith frottait nerveusement ses mains sur ses cuisses dans un vague espoir de paraitre un peu plus détendue. Elle osait à peine respirer de peur que ses nerfs tendus ne craquent sous la pression. Opale avait certes le don de se mettre dans de drôles de situations mais jamais elle n'avait dû faire face à un choix pareil. Elle ne voulait pas perdre sa meilleure amie mais Algol comptait tellement à ses yeux.

La jeune femme soupira. Ses yeux glissèrent le long du canapé pour se poser sur le félin qui y était assis. Et dire que quelques minutes auparavant Opale et lui étaient tendrement enlacéssur ce même divan...L'Arnaith eut un sourire un peu rêveur, elle avait l'impression que cela faisait des heures qu'elle avait quitté les genoux du sous chef.

Elle remarqua qu'il avait changé de position. Algol avait les bras et les jambes croisés et était bien calé dans le canapé. Il semblait prêt à tout entendre ou presque...Il fallait qu'elle le fasse maintenant sinon jamais elle n'en aurait le courage, il fallait qu'elle demande à Catelyn de liberer Algol ou d'au moins les laisser se voir.

Opale prit une profonde inspiration et se leva d'un geste brusque. Elle planta son regard determiné dans celui de son amie puis croisa les bras. Elle hésita un moment, comme si elle cherchait ses mots, puis prit la parole:

"Catelyn...J'ai quelque chose à te demander..."

Opale marqua une pause durant laquelle elle regarda Algol cherchant le courage qui lui manquait. Determinée certes mais pas courageuse la petite sous chef Arnaith. Elle se massa la nuque puis remit une méche de ses cheveux en place. Elle ramena son regard sur Catelyn avant de poursuivre.

"Est-ce que tu pourrais...Enfin...J'aimerais que tu lui...lui.."

Sa voix mourut dans sa gorge et Opale baissa la tête. Elle n'y arrivait pas. Elle ne parvenait pas à lui demander de rendre sa liberté au félin. Opale ferma les yeux. Non, elle ne voulait pas être obligée de voir celui qu'elle aimait à travers des barreaux sous l'oeil réprobateur de sa meilleure amie. Elle réouvrit les yeux et fixa Catelyn.

"Rends lui sa liberté, s'il te plait."

La jeune femme ne baissa pas la tête, prete elle aussi à affronter la colère et l'indignation de son amie. Après tout, tant pis si elle se mettait à hurler et à leur balancer un flot d'injures si au bout du compte Algol retrouvait sa liberté.

La simple réponse de Catelyn résonna longtemps dans l'esprit d'Opale. La négation se repercutait en échos et durant un instant la jeune femme n'entendait que ce mot. Non...non...non...
Jamais elle ne se serait douté que cette syllabe puisse lui faire aussi mal. Son regard à present voilé de tristesse se posa sur Algol. Elle le fixait, ne se souciant même plus de ce que lui disait Catelyn. Elle voulait le faire sortir de là, pourquoi son amie n'essayait pas de comprendre un peu ?

Après un long moment, l'Arnaith se tourna vers sa superieur hierarchique. Elle avait les poings serrés et son regard noisette était plongé dans celui de la jeune femme qui lui faisait face. Tant pis, Catelyn ne voulait pas comprendre ? Que cela ne tienne, Opale ne ferait pas l'effort de comprendre non plus...Elle argumenterais jusqu'au bout quitte à se disputer avec son amie. Sa meilleure et seule amie à Paris.

"Et pourquoi ? Tu as peur de quoi ? Qu'il rassemble les créatures et qu'il recherche Noah pour reformer la Thianra ? Je te signale qu'il n'y a presque plus de créatures libres à Paris et que Noah est surement mort !"

Au fur et à mesure qu'elle avait parlé, son ton s'était fait beaucoup plus dur. Jamais auparavant, elle ne s'était adressée à Catelyn sur ce ton. Opale avait beaucoup d'estime et de respect pour elle mais là c'était different. Ses poings étaient serrés à tel point que ses ongles entaillaient sa peau y laissant des petits points de sang. Elle baissa la tête et elle se mit à ricaner. Un petit rire jaune dans lequel transparaissait toute la tristesse de l'humaine. Elle releva les yeux et fixa Catelyn.

"A vrai dire, je me doutais que tu dirais non. C'est toujours comme ça avec toi..Tu ne cherches pas à comprendre."

Opale parlait en demi mesure. Elle était certaine que Catelyn comprendrait une bonne fois pour toute. Qu'elle saurait enfin pourquoi elle n'était pratiquement pas sortie de son bureau pendant ces huit mois. Un sourire en coin apparu sur les levres de la jeune femme même si ça lui faisait du mal d'avoir une dispute avec Catelyn. Tant pis...Au moins, les choses seraient claires une bonne fois pour toute.

Opale se degagea vivement de l'emprise de Catelyn. Les larmes lui montaient aux yeux maintenant. Non ne pas pleurer surtout ne pas pleurer. Ses yeux embués passaient de son amie à Algol, d'Algol à son amie. Que faire ? Amour ou amitié ? Amitié ou amour ? Cruel choix. L'humaine se passa les mains dans les cheveux tout en secouant legerement la tête. Ca allait la rendre folle...

Elle leva les yeux vers Catelyn avant de lui répondre avac véhémence..

"Rectification Catelyn: VOUS avez anéantis ses rêves et ses espoirs ! Toi et Cloud ! Moi et les autres on y est pour rien ! On a reçu une lettre, on est venu et une heure plus tard on se retrouvait à la Thianra à massacrer toutes les créatures qui s'y trouvaient ! Vous nous avez mit devant le fait accompli ! C'est trop facile maintenant de mettre tout le monde dans le même panier !"

Elle avait parler sans même se rendre compte de l'impact que pouvaient avoir ses paroles. Elle avait dit ça sur le coup de la colère, elle n'en pensait pas un mot. Bien sur qu'elle y avait sa part de responsabilité. N'était-ce pas elle qui avait laissé Catelyn frapper Algol à mort sans bouger ? La jeune femme se radoucit. Catelyn venait d'évoquer la possibilité qu'Opale la laisse tomber. Elle comprenait mieux maintenant. La chef Arnaith ne voulait pas laisser sortir Algol de peur qu'il reforme la Thianra mais aussi parce qu'elle craignait que son amie la laisse tomber. Déçue mais touchée, elle se recula encore un peu.

"Alors tu doutes Catelyn ? Je pensais pourtant avoir été claire avec toi. Je ne pensais pas que tu puisse imaginer qu'un jour je te laisserais tomber...Je croyais que tu savais que j'ai toujours eu du mal à tuer les créatures. A la Thianra, je l'ai fait parce que je tenais à la vie, parce que j'y ai été forcée ! Si je me suis engagée dans les Arnaiths, c'est uniquement pour retrouver mon frère hybride. Je suis incapable de prendre la vie d'autrui sans raison."

D'un revers de la main, Opale essuya une larme qui roulait sur sa joue. Elle regarda une nouvelle fois Algol sans essayer de cacher la tendresse qu'elle éprouvait pour lui. Elle semblait avoir retrouvé son calme pourtant...

Dangereux ? La jeune femme fit volte face et fixa Catelyn avec stupeur. Elle était donc elle aussi au courant de l'histoire d'Ophélie ? Elle inspira profondement. Il ne fallait pas qu'elle se remette en colère.

"Il n'est pas dangereux...Je le sais. J'ai confiance en lui..."

L'Arnaith sembla tout à coup completement abattue. Elle avait l'impression de donner des coups d'épée sur un lac. Lentement elle se laissa tomber pour finir assise sur la table basse, les yeux mouillés de larmes et rivés sur le plancher.

"S'il te plait Catelyn..."

Son ton était presque suppliant et sa voix enrouée des sanglots qui agitaient désormais ses épaules.

Devant la colère de son amie, Opale se mordit la lèvre. C'est vrai qu'elle y avait été un peu fort en l'accusant du massacre qui avait eu lieu huit mois plus tôt. Elle s'excuserais plus tard, des excuses maintenant réduiraient à néant tout ce qu'elle venait de dire. Soudainement l'Arnaith releva la tête, ses sanglots s'arrêtant d'un seul coup. Ses joues étaient encore marquées de sillons humides même si elle ne pleurait plus. Catelyn parlait de la mettre à mort ? Une profonde surprise put se lire sur les traits métissés d'Opale. Ah oui ? Alors sa pretendue amie songeait à l'executer ?
Sans un mot l'humaine se releva et fit un pas pour se rapprocher de Catelyn. Elle souleva l'arrière de son tee-shirt et prit son arme qu'elle vida. Les cartouches tombèrent à ses pieds dans un fracas métallique. Dans un élan de colère mais aussi de provocation, la jeune femme lança son arme à sa supérieur. Elle se redressa et croisa les bras. Opale fixait la chef Arnaith dans les yeux.

"Bah alors...Qu'est-ce que tu attends ? Vas y tue moi...Exécute ton devoir de chef. Je ne suis même plus armée...Tu sais, je m'en fiche moi. Si tu vises bien, je souffrirais une minute ou deux tout au plus. Cloud n'aurait pas hésité, lui."

Un rictus mauvais se dessina sur ses lèvres. Elle avait prit un malin plaisir à appuyer la fin de sa phrase. Opale agissait sur le coup de la colère. Biensur qu'elle tenait à la vie, surtout maintenant. Et elle ne pensait pas que Catelyn soit une chef moins performante que Cloud, la nouvelle chef avait le mérite d'être presente pour ses troupes. Mais la jeune humaines était tellement remontée que ses côtés provocateur et tête brûlée reprenaient le dessus sur sa raison. Avec tout ça Opale en avait presque oublié la presence d'Algol. Elle leva les yeux au ciel et regretta ses paroles. Non elle ne voulait pas mourir, pas comme ça, pas ici...Elle était sûre que Catelyn ne tirerait pas mais elle aussi semblait très très enervée.

Son regard roula sur le félin assis dans le canapé quand Catelyn parla d'Ophélie. Il ne fallait pas que le sujet là soit abordé, non surtout pas. Opale avait passé trop de temps à rassurer Algol, à lui jurer qu'elle ne le laisserais pas tomber pour cet acte passé pour que la jeune femme vienne tout gâcher à coup de paroles désobligeantes. Ses yeux repassèrent sur la chef Arnaith.

"Tais toi ! C'est du passé maintenant !"

Son ton s'était fait bien plus autoritaire. Opale décroisa les bras d'un air désabusé et fixa son amie dans les yeux.

"Je te croyais plus comprehensive Catelyn...Tu pense serieusement que je pourrais te trahir un jour ? Tu crois vraiment que j'aurais accepter ce poste d'adjointe pour te laisser tomber huit mois après ? Certes, je suis amoureuse d'Algol mais tu es mon amie...Enfin, je pensais que tu l'était..."

La colère était tombée pour laisser place à une profonde déception. Elle eut un soupir las. Cette dispute l'avait completement vidée. Et tout ça pour quoi ? Rien...Ils en étaient toujours, tout trois, au point de départ.

Algol s'était promis de ne pas réagir. Il savait pertinemment que s'il s'introduisait dans la discussion ses mots allaient dépasser sa pensée, et qu'entre deux répliques il se retrouverait terriblement vulnérable, du genre à s'écrouler à la moindre attaque un peu violente de Catelyn. Pour son salut et celui d'Opale, il lui fallait rester silencieux. Même s'il avait tout le mal du monde à voir sa bien-aimée se déchirer de la sorte avec sa meilleure amie, sans compter qu'être aussi superbement ignoré mettait ses nerfs à rude épreuve. Il avait eu trop souvent l'occasion d'être traité comme un élément du décor pour accepter facilement cette situation.

Néanmoins, il tiqua une première fois lorsque Catelyn laissa échapper une information on ne peut plus improbable, le genre de nouvelle qu'Algol n'imaginait qu'en rêve. On n'avait pas retrouvé le corps de Noah. Le tigre n'était pas mort, mais présumé mort, ce qui dans son cas faisait une énorme différence. L'ancien sous-chef assimila la nuance avec un vertige: Noah... vivant... dehors... peut-être vivant et dehors... Pour un peu, le félin en serait resté bouche-bée. Il eut beau immédiatement se dire que ce n'était qu'une conjecture et que Noah était presque certainement mort, il ne pouvait retenir l'étourdissante bouffée d'espoir qui remontait du fond de ses entrailles, qui rallumait en lui un feu éteint depuis huit mois. Noah. Peut-être vivant.

Mais la dispute des deux jeunes femmes ne laissa guère au félin l'occasion de se réjouir pleinement: les attaques se faisaient de plus en plus inconsidérées, de plus en plus douloureuses. Là, Algol ne se sentait plus en droit de s'offusquer d'être ignoré. Aurait-il été humain que cela n'aurait strictement rien changé. Il venait de se reprendre pour la énième fois et de se promettre à nouveau de ne pas intervenir lorsqu'une parole de Catelyn lui fit l'effet d'un coup de fouet: elle avait menacé Opale. Pire, elle avait qualifié leur amour de "traîtrise", elle avait osé proclamer que la seule absolution dans ce cas-là était la mort.

La conscience d'Algol avait bien compris que de telles horreurs ne découlaient que de la fureur de la jeune femme, mais l'instinct du félin n'était pas si conciliant. La rage qu'il refusait d'éprouver depuis le début de l'entretien lui monta brusquement à la tête, balayant sur son passage toute l'intelligence et la patience de la créature. Sa respiration s'arrêta net et ses pupilles s'étrécirent brusquement dans l'ambre incandescent de ses yeux. Catelyn menaçait Opale, sa Opale. Elle parlait de la tuer.

Ah, alors elle se réclame de Cloud? Peut-être qu'elle aussi a envie de voir ce que ça fait de voir ses propres intestins s'échapper de son ventre.

Le pistolet de l'adjointe des Arnaiths traversa le champ de vision d'Algol pour aller atterrir aux pieds de Catelyn. Cet acte incongru arrêta net le félin, et il constata avec incrédulité qu'il s'était à moitié redressé dans le canapé, prêt à bondir. Algol baissa les yeux sur sa main gauche et put constater qu'elle s'était crispée sur l'accoudoir, les griffes sur le point d'émerger de leur logement. Mais à quoi avait-il pensé?... Et par un malheureux concours de circonstance, ce fut à cet instant qu'il entendit le nom tant redouté s'échapper des lèvres de Catelyn. Ophélie. Et dans quel contexte...

"Ophélie aussi avait confiance en lui!"

Algol n'entendit même pas la suite. Il retomba dans le canapé, insensible au bruit qu'il faisait, insensible au regard d'Opale, insensible à ses protestations. Il le savait pourtant qu'il s'exposait à ce genre d'attaque, il le savait pertinemment. Mais cela lui faisait tellement plus mal que prévu... Le regard fixé vers un point invisible du parquet, pâle, silencieux, l'ancien sous-chef n'osait plus faire le moindre geste. Catelyn avait raison, Opale ne se rendait pas compte de ce qu'elle faisait. Ce n'était pas du passé. A peine quelques secondes auparavant, en entendant des menaces illusoires qui n'étaient que des paroles en l'air, il avait... il avait failli... Les mains blanches du félin vinrent ensserrer ses tempes et il serra furieusement les paupières.

"Ca suffit..."

A peine un murmure, une supplique presque muette. Les deux jeunes femmes continuaient à aligner des mots qui n'avaient plus de sens pour lui, des phrases tantôt mordantes, tantôt déçues, toujours blessantes. A cause de lui. Tout cela, c'était à cause de lui.

"CA SUFFIT!"

Cette fois il avait crié, lui, le félin toujours si calme, si posé. Cette situation était infernale. Pourquoi était-ce si compliqué, pourquoi n'avait-il pas le droit d'être tout simplement heureux avec celle qu'il aimait? Pourquoi devait-elle souffrir de la sorte et agresser ainsi sa meilleure amie? Nom de Dieu, pourquoi? Algol s'accorda quelques secondes pour stabiliser son souffle, avant de passer une main tremblante sur son visage et de se recomposer une expression. Il leva les yeux vers Catelyn et la regarda bien en face, sans honte, sans agressivité. Seulement avec une grande lassitude.

"Ca ne t'a pas effleuré l'esprit qu'Opale pouvait encore être ton amie, même si elle éprouve des sentiments pour moi? Ca ne t'a pas effleuré l'esprit que je l'aime et que je souffre le martyr à la simple pensée de lui faire du mal? Bon sang Catelyn, tu l'as dit toi-même: il n'y a plus de Thianra, je n'ai plus rien. Qu'est-ce que tu veux que je..."

Il s'interrompit, conscient qu'il était en train de répéter dans le vide les mêmes arguments qu'Opale.

"Tout ce qu'on te demande, c'est de nous laisser être ensemble. Est-ce donc si monstrueux?"

Catelyn resta muette de stupeur quand Opale lui lança son arme en lui disant de tirer. Elle eut un rictus de méchanceté :

- "Tu me sous-estimes... Si je tire, tu ne souffriras même pas..."

Elle ferma les yeux, lasse et horrifiée de ce qu'elle venait de dire... Mais que devenait-elle? Un monstre d'insensibilité! Cela ne pouvait pas continuer ainsi! Cela ne devait pas continuer ainsi! Elles se lançaient des horreurs qu'elles ne pensaient ni l'une, ni l'autre. En tout, cas Catelyn ne pensait pas ce qu'elle disait!

Opale semblait vidée et Catelyn l'était aussi à bien y réfléchir. De la façon dont Opale lui parlait, elle avait l'impression d'être une gamine stupide, butée et capricieuse... et elle n'aimait pas ça! Elle allait répondre quand le cri d'Algol la fit sursauter. Alors seulement, elle se rappela qu'il était là, spectateur muet de leur dispute. Il s'y mit lui aussi. Ils se liguaient contr elle... mais ne pouvaient-ils comprendre sa position?

Elle inspira profondément. Elle resterait ferme, quoiqu'il arrive. Ses yeux ambrés allèrent d'Opale à Algol, son visage était las et dénué de toute méchanceté. Juste de la fatigue et de l'abattement. Néanmoins, quand elle prit la parole, sa voix était ferme :

- "Tu as raison, ça suffit."

Elle se tourna vers Opale.

- "Opale... Comment peux-tu penser que je ne suis pas compréhensive? Bien sûr que je le suis et je comprends aussi que mon refus te blesse profondément. Je le sais. Mais je n'y peux rien. Tous les deux, vous m'assurez que vous vous aimez. Parfait! Je suis sincèrement contente pour vous. Mais je ne peux rien changer."

Elle regarda Algol.

- "Ne me prends pas pour une idiote. A partir du moment où on saura que tu es libre, la Tianra se reformera, que tu le veuilles ou non. As-tu seulement pensé que même si tu ne refondes pas ce mouvement et que tu décides de vivre tranquillement avec Opale, certains pourraient te considérer comme un traître? A moins que tu décides de rejoindre les Arnaiths?"

Elle était légèrement ironique sur la fin. Mais avaient-ils seulement songé aux conséquences de leurs actes? Elle plongea son regard dans celui du félin :

- "Sincèrement Algol, si les situations étaient inversées que ferais-tu? Ecouterais-tu ton coeur ou ton devoir? Au delà de mon refus, songez seulement à ce que ma bénédiction entraînerait..."

Opale n'en pouvait plus de cette situation. Elle était obligée d'hurler après sa meilleure amie et cela ne lui plaisait guère. Aussi loin que la jeune femme s'en souvenait, c'était la première fois qu'elles se disputaient. Mais il faut bien une première fois à tout non ? L'Arnaith lâcha un soupir las. La soirée avait si bien commencé...

Soudain, elle sursauta et se tourna vers Algol. Il avait crié. C'était également la première fois qu'elle l'entendait hausser la voix. Lui aussi semblait être lassé, comme Catelyn et elle meme d'ailleurs. Opale fixait le félin avec un petit sourire en coin. Il n'avait pas tord: Malgré qu'elle soit amoureuse de lui, la jeune femme n'en restait pas moins l'amie de Catelyn. L'humaine fit volte face quand sa superieur s'adressa à elle et plongea son regard sombre dans la sien.

"Tu es comprehensive ?!?"

Le ton d'Opale était plus ironique qu'elle ne l'aurait voulu et bien malgrè elle, elle regardait Catelyn avec des yeux ronds. Encore cette foutue colère...Si elle ne se calmait pas, elle risquait de perdre son amie et le droit de voir Algol. En somme, elle aurait tout perdu. Pourtant, la jeune femme n'arrivait pas à réguler cette colère qui prenait doucement le pas sur ses autres émotions.

"Est-ce que tu t'es imaginé ce que j'ai ressenti en apprenant que celui que j'aime sert d'animal de compagnie à ma meilleure amie ? En apprenant que désormais je ne pourrais plus le voir autrement qu'au travers les barreaux d'une cage ?"

L'humaine serrait les poings. Ca lui faisait mal...Si mal. Elle avait chaud maintenant et son regard passait sans cesse d'Algol à Catelyn. Les paroles de la chef Arnaith la laissèrent un instant sans voix. Elle était vraiment étonnée par ce que venait de dire son amie.

"Te gêne pas surtout...Insinue que l'amour que l'on se porte Algol et moi va entraîner la perte de Paris. Tu crois pas que tu exagère un peu ?"

Cette fois, elle en avait vraiment mais alors vraiment marre. Opale était au bord de la crise de nerfs.

"Mais Catelyn ouvre les yeux ! La Thianra c'est fini, ca n'existe plus. Les créature encore en vie sont, pour les plus dangereuses, captives. Et les autres sont domestiquées. Noah est porté disparu, sans doute mort. Tu sais...Je me suis souvent demandé si tu ne regrettais pas le temps d'avant, le temps de la Thianra. Notre devoir d'Arnaith est suspendu, Catelyn. Sans le mouvement félin, notre organisation n'a plus lieu d'être."

Opale se tourna vers Algol, un peu gênée d'avoir repondu à sa place. Pourtant ce qu'elle venait de dire était vrai. A quoi bon se battre contre le vent ? La chute de la Thianra avait inévitablement entraîné l'inactivté des Arnaiths.

"Nous n'avons plus d'ennemis réels Catelyn. Alors pourquoi t'entête tu à vouloir le garder ici ?"

Algol encaissa la réponse de Catelyn avec la résignation de celui qui vit un mauvais rêve et espère juste que le réveil est proche. Non, c'était vrai, il n'avait pas pensé aux conséquences de sa libération. L'idée que ses anciens alliés puissent le considérer comme un traître et faire du mal à Opale lui aparaissait soudain dans toute sa cruauté. Sans compter cette sourde douleur qui pulsait toujours dans ses tempes, cet accès de rage qui pour un peu serait devenu dramatique... Ses yeux dorés se posèrent sur l'Arnaith qui argumentait face à son amie, et son coeur se serra de manière presque physique. Comment assumer une telle responsabilité? Comment vivre avec l'idée qu'il pouvait la tuer de ses propres mains? Non, il ne le supporterait pas. Il voulait être heureux avec Opale, tout oublier des carnages qui avaient jalonné sa pitoyable vie. Il voulait se réveiller à côté d'elle au petit matin, et ne pas se demander s'il passerait la journée sans tuer quelqu'un.

Mais cela impliquait qu'il se soigne. Or pour se soigner, il fallait s'attaquer aux laboratoires de la région, et pour s'attaquer aux laboratoires il fallait être libre. Il n'avancerait pas en restant enfermé chez Catelyn. Mais d'un autre côté, quoi de mieux que des barreaux pour l'empêcher de porter la main sur celle qu'il aimait? Il avait tant envie de sortir, mais il désirait tellement vivre avec Opale en toute confiance... Comment faire un tel choix? Comment trouver une solution? C'était un effroyable casse-tête.

Algol n'était certain que d'une chose: cette dispute était d'une terrifiante stérilité. Sa bien-aimée se défendait - les défendait avec brio, mais Catelyn restait fermement campée sur ses positions. On ne lâche pas un point de vue dont on est intimement convaincu: elle ne leur avait pas accordé une seule concession depuis le début, et elle ne le ferait pas. Mais que pouvait dire le jeune félin pour se dépétrer de cette situation? Demander aux deux amies (qui ne l'étaient plus pour très longtemps au rythme où elles se démolissaient l'une l'autre) d'en rester là pour aujourd'hui, de repartir chacune de leur côté? Dire à Catelyn qu'il se contenterait d'un droit de visite? Comme si cela allait régler cette histoire... Il n'allait quand même pas passer sa vie en tant qu'animal de compagnie, à plus forte raison maintenant qu'il était certain qu'Opale l'aimait comme il l'aimait lui-même. Mais ce n'était pas cette dispute qui allait déboucher sur une solution.

"Opale, je t'en prie..."

Il se leva avec une lenteur fatiguée qui ne lui allait pas, et ses doigts allèrent chercher la main de la jeune femme toute proche. Indifférent à ce que Catelyn pourrait penser de lui, il attrapa délicatement le menton d'Opale de son autre main pour l'obliger à se détourner de son amie et à le regarder lui. Il prit quelque secondes pour se réchauffer dans ces étincelants yeux bruns, et ses propres iris brûlaient de cet amour qui semblait si aberrant et déraisonnable à la propriétaire des lieux.

"Laisse tomber."

Il avait conscience de la réaction qu'un tel renoncement provoquerait vers la jeune femme, aussi il ne lui laissa pas le temps de répliquer. Il continua sur sa lancée, s'adressant à Opale mais regardant Catelyn.

"Elle ne me laissera pas sortir d'ici. Elle ne se rend pas compte qu'elle n'a aucun droit d'entraver ma vie de la sorte et de ne pas me laisser prendre de responsabilité. Je crois même qu'elle est convaincue de nous rendre service, hein Catelyn?"

La désillusion qui transparaissait dans sa voix n'avait d'égale que la fatigue avec laquelle il fixait la chef des Arnaiths. C'était dans ce genre d'instant qu'on comprenait la différence avec le Algol d'avant la chute de la Thianra, qu'on réalisait à quel point l'ancien sous-chef avait souffert de sa défaite et de ses huit mois de captivité.

"Ca suffit maintenant, cette discussion ne nous mènera nulle part. Je n'ai plus la prétention de sortir. Du temps que je peux te voir, Opale, ça ira."

Il se tourna à nouveau vers elle, avec au fond des yeux l'espoir brûlant qu'il venait de démentir. Bien sûr qu'il avait envie d'être libéré, quelle question... Mais ce n'était pas ainsi qu'il y parviendrait. Il regardait sa bien-aimée droit dans les yeux, comme pour lui rappeler ses paroles, le fait qu'il s'échapperait tôt ou tard... Il ne pouvait pas tenir un pareil discours devant Catelyn, mais pourtant il lui fallait absolument le rappeler à Opale. Alors, peut-être par provocation envers la chef des Arnaiths, peut-être faute d'avoir trouvé plus convaincant, il s'inclina légèrement et ses lèvres allèrent se poser sur celles de la jeune femme. Une partie de lui-même jubilait à l'idée d'embrasser l'humaine qu'il aimait devant un être qui refusait presque de seulement envisager ce genre de relation. Baiser sage en apparence, mais terriblement provocateur sur le plan idéologique. Puis sa bouche se détacha de celle d'Opale, et il murmura:

"Ca ira."

*Je m'évaderai. Arrête les frais je t'en prie, je te jure que je trouverai un moyen de m'évader...*

Opale fixait Catelyn sans la lâcher des yeux. Vu comment elles se parlaient à cet instant, impossible d'imaginer qu'elles fussent amies un jour...Et pourtant. Ce qui sidérait la jeune femme, c'était que sa superieur puisse croire qu'elle la laisserait un jour tomber. Jamais, jamais Opale ne l'abandonnerait...Jamais.

Tellement absorbée par le regard fusillant de son amie, elle ne vit pas Algol s'approcher et se rendit compte qu'il s'était levé seulement lorsqu'il lui prit la main. La jeune femme serra les doigts du félin dans les siens, toujours en fixant Catelyn. Elle laissa l'hybride lui prendre le menton et plongea ses prunelles brunes dans celles de miel d'Algol. Opale esquissa un faible sourire qui disparu l'instant d'après.

"Laisse tomber."

Alors lui aussi ? Lui aussi il se mettait contre elle ? La jeune femme tomba des nues et resta bouche bée. Comment est-ce qu'il pouvait lui demander ça alors qu'elle se disputait avec sa meilleure amie pour sa libération ? Elle n'y croyait pas mais ces deux mots se fracassaient d'une manière intenable contre les parois de sa boîte crânienne, lui rapellant sans cesse cette phrase qu'elle ne voulait pas croire. L'humain n'écouta que d'une oreille distraite ce qu'il disait à Catelyn. Non ce n'était pas possible...Il ne pouvait pas laisser tomber. Pas maintenant.

Les lèvres d'Algol vinrent se poser sur les siennes. Elle entoura la taille du félin avec ses bras et se serra contre lui, cherchant à prolonger le plus possible le baiser. Elle se fichait pas mal de ce que pouvait penser Catelyn. Après tout, ils faisaient ce qu'ils voulaient et la chef Arnaith n'avait aucun droits concernant leurs vies. Le jeune homme se redressa et Opale le fixa dans les yeux. Il lui assura que ca irait et elle y répondit par un vague sourire qui étira à peine les coins de ses lèvres.

Besoin d'air. L'Arnaith avait besoin d'air. Elle s'extirpa alors un peu brusquement des bras d'Algol et alla prendre sa veste qu'elle avait laissée sur un accoudoir du canapé. Elle enfila et, sans se retourner, elle annonça:

"Très bien. Cela ne sert à rien de continuer alors...Je m'en vais."

Tête baissée pour ne pas qu'ils voient les larmes qui perlaient déjà à ses yeux, Opale traversa le salon et se rendit dans le hall. Une larme roula sur sa joue mais elle l'essuya rapidement et sortit de la maison. Elle marchait désormais dans la rue et elle tourna machinalement la tête vers la maison de Catelyn. A travers la baie vitrée, elle pouvait la silhouette d'Algol. Elle resta un instant plantée sur le trottoir à le regarder...Et dire qu'elle était partie sans même lui dire au revoir...

Opale fit demi tour et rebroussa chemin en courant. Non, elle ne pouvait pas le quitter comme ça...Il allait surement croire qu'elle lui en voulait. Elle était juste déçue, elle en avait marre, elle voulait simplement être avec lui. Mais apparement c'était trop demander. Elle fit irruption dans le salon et alla se jeter dans les bras d'Algol. Elle se blottit contre lui et s'agrippa au tissus de son gilet. Elle voulut parler mais les sanglots qu'elle réprimait bloquaient sa voix et celle ci mourrait au fond de sa gorge. Le laisser ici alors qu'elle venait seulement de le retrouver était au dessus de ses forces. Elle ne voulait pas mais devrait bien se faire une raison: Il était captif maintenant et son geôlier n'était autre que sa meilleure amie... Quelle drôle de situation...