Sous la pluie

L'averse persistait depuis le petit matin et détrempait le sol de l'ancienne caserne, jusqu'à en faire une flaque boueuse où l'on s'enfonçait jusqu'aux chevilles. La lumière grisâtre donnait l'impression que le soleil était en train de se coucher, alors qu'il était à peine trois heures de l'après-midi.

La silhouette d'Algol se découpa un instant sur le ciel nuageux pendant qu'il sautait du toit d'un bâtiment proche sur les restes de celui de la caserne. Il était trempé, ses cheveux couleur d'ébène lui pendaient dans le visage et son costume noir lui collait au corps, ce qui lui déplaisait visiblement beaucoup.

*On m'y reprendra à faire des paris stupides avec Noah. Il n'était pas censé pouvoir sauter si haut! Je suis sûr qu'il a triché...*

Enfin, toujours est-il que Algol avait perdu le pari et que c'était lui qui avait dû quitter les confortables locaux de la Thianra pour aller vérifier une information: les Arnaiths étaient censés avoir une cache d'armes dans les parages. La créature marcha avec légèreté sur le glissant toit de tôle: c'était l'un des rares endroits où il avait tenu et où il protégeait encore le sol de terre battue de l'ancienne armurerie. Algol repéra un trou dans les restes de la toiture et se laissa simplement tomber huit mètres en contrebas. Il amortit sa chute d'une roulade et s'épousseta distraitement la manche en se relevant.

*Ce doit être par-là...*

Le flair et l'intuition aidant, Algol ne mit en effet pas longtemps à trouver ce qu'il cherchait: sa botte produisit un son métallique en heurtant le sol. Il balaya la terre du bout du pied et un sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'il découvrit une trappe de fer encastrée dans le sol.

*Gagné.*


(topic réservé ^^)

Catelyn courait sous la pluie battante. Ses longs cheveux bruns étaient plaqués sur son crâne. Heureusement qu'elle portait sa combinaison noire ce jour là. L'eau glissait sur le cuir sans la mouiller. Néanmoins, elle détestait être mouillée, aussi cherchait-elle un abri. Ce temps était vraiment déprimant et Catelyn était d'humeur maussade. Enfin, elle apperçut la caserne. Au moins serait-elle au sec ici. Elle s'élança vers la porte, prête à s'engouffrer à l'intérieur. Mais la main sur la poignée, elle s'arrêta. Se ruer à l'intérieur d'un bâtiment comme celà était pure folie, elle le savait. Ce qu'elle pouvait-être impulsive quelques fois. Elle ouvrit doucement la porte, sans bruit et son regard tomba sur un félin, posté juste au dessus de la trappe. Que faisait-il là? Comment était-il au courant? Hasard ou vérification? Décidément la Thianra était bien informée. Il faudrait trouver les traîtres et les châtier. Elle avança encore et claqua violemment la porte derrière elle. Elle se posta devant, jambes légèrement écartées et bras croisés sur sa poitrine. Un sourire narquois s'accrochait à ses lèvres.

Et bien? On ne t'a pas apprit qu'il était fort impoli de fouiller dans les affaires d'autrui, mon chaton?

Son ton était provoquant. Le visage du félin ne lui était pas étranger. Soudain, elle écarquilla les yeux, signe de reconnaissance. Un sourire cruel se dessina sur ses lèvres pleines.

Tiens donc, comme on se retrouve? Qu'as tu fait de ton "amie"?

Algol avait saisi le cadenas de la trappe entre ses doigts fins et l'examinait pensivement. Du bon matériel. Il allait devoir y aller à coups de griffes s'il voulait...

Le grincement d'une vieille porte qui s'ouvre lui fit redresser brusquement la tête, envoyant quelques mèches mouillées voler en arrière. Une humaine venait d'entrer, et il resta un instant incrédule devant cette femme qu'il n'avait ni senti, ni entendu venir.

*La pluie, c'est à cause de la pluie.*

Elle claqua la porte avec un sourire peu engageant et Algol la reconnut enfin: l'Arnaith de la Tour Eiffel. Son corps se tendit instantanément et il se releva avec lenteur. Ses griffes émergèrent sans un bruit du dos de ses mains et les cheveux qui descendaient dans sa nuque se hérissèrent, tandis qu'il découvrait les crocs en un rictus de défi.

"Mon "amie" ne te regarde en rien. De toute façon, elle n'a rien à se reprocher. Je te croyais tout de même capable de faire la différence entre une humaine et une créature, mais apparemment je t'ai surestimée."

Il se décala légèrement pour faire face à l'Arnaith, toujours en la fixant droit dans les yeux. Etre mouillé l'avait mis d'humeur maussade, et il n'avait aucune envie de tempérer ses paroles.

"Vous devriez mieux cacher vos réserves, vous êtes vraiment trop faciles à déjouer... Je me trompe en pensant que tu as une sorte de grade dans cette vaste mascarade que sont les Arnaiths? Ca se voit à ton ridicule petit air arrogant."

Imbécile... Evidemment que je sais faire la différence entre une humaine et une vulgaire créature. Dommage qu'elle se soit laissée embobiner par tes airs de chiens battus. Elle se rendra vite compte de son erreur!

Ses yeux s'étrécirent à ses paroles. Puis elle éclata de rire. Non vraiment, c'était trop drôle!

Et c'est moi que tu qualifies d'arrogante? Permets-moi de te renvoyer le compliment. Si un rang se juge d'après l'arrogance, tu dois être toi aussi bien placé chez ces bâtards de la Thianra!

Elle avait craché ses derniers mots, y mettant toute sa haine. Ses yeux luisaient d'animosité.

"Contrairement à toi, je n'ai pas à faire semblant pour être aimable. Je t'accorde cependant que tu n'es pas la seule dans ce cas: la plupart des humains semblent allergiques à la générosité et au désintérêt, et comme toi ils s'enferment dans leurs petites prétentions misérables pour se donner l'illusion d'une valeur qu'il n'auront jamais. Néanmoins, puisque tu fais partie de ce que les humains ont à nous opposer de "mieux" (son ton devint exagéremment railleur lorsqu'il prononça ce mot), je vais te faire l'honneur de te montrer ce que signifie "être un officier de la Thianra"."

Et sans attendre davantage, Algol laissa ses jambes légèrement fléchies le propulser en avant, si fort et si précisément qu'il franchit d'un unique bond la distance qui le séparait de l'Arnaith. Il ne s'accorda pas le temps de voir si elle avait dégaîné son épée et frappa, un coup de semonce qui déchira la chemise de l'humaine au niveau du ventre, puis il reprit son élan contre le mur pour atterrir hors de la portée de la lame.

"Ravissante cicatrice à l'estomac... tu as glissé à l'entraînement?"

Vois-tu mon cher, je ne cherche pas spécialement à être aimable avec ceux de ton espèce, puisque je ne leur accorde aucun intêret, sinon celui de les envoyer rapidement six pieds sous terre. Tu comprendras donc, que faire de la politesse à des cadavres ambulants me paraisse une perte de temps.

Sans crier gare, le félin, sauta sur Catelyn et l'attaqua au niveau du ventre, déchirant sa chemise. Sa remarque la troubla quelques secondes, mais son trouble fit vite place à une colère sans nom, une colère froide.

Cette cicatrice a été le premier pas vers la lucidité, tu sais? Elle me rappelle sans cesse pourquoi une bonne créature est une créature morte.

Sans que son ton ait laissé présager quoique ce soit, elle actionna son épée qui se détendit et devint un fouet qui vint claquer sur la jambe de la créature.

Quelle manie vous avez de toujours attaquer au niveau du ventre, cela devient lassant... quel manque d'originalité...

Et elle fit claquer à nouveau son fouet sur la créature.

Les pupilles d'Algol se dilatèrent lorsque l'épée de l'Arnaith devint soudain un fouet bardé de lames, qui s'abattit sur lui sans crier gare. Il eut un mouvement d'esquive qui sauva sa tête, mais pas sa jambe. Une douleur cuisante déchira sa cuisse et il recula d'un bond, les crocs serrés pour ne pas crier. Sa jambe se déroba sous son poids et il dut poser un genou à terre le temps de se reprendre. Son pantalon noir déjà trempé devint luisant de sang.

*Mais qu'est-ce que c'est que ce truc?!*

Le temps que Algol comprît ce qu'il venait de se passer, l'épée-fouet sifflait à nouveau dans les airs. Le félin plongea sur le côté et parvint presque à éviter l'arme, qui déchira sa manche droite sans toucher la chair. Il roula sur lui-même et se releva aussitôt, les crocs découverts et le regard mauvais. Non seulement il haïssait se faire prendre au dépourvu, mais en plus il venait d'identifier son adversaire.

"L'adjointe des Arnaiths, hein? Je pensais que ceux qui t'avaient echappé exagéraient en parlant de ton épée. Il ne déliraient pas tant que ça, apparemment."

Sa voix était calme, mais lourde d'une colère féroce. Algol tansféra une partie de son poids sur sa jambe droite, intacte, puis il fondit vers son ennemie en n'utilisant que la moitié des possibilités de sa jambe blessée. Il partit donc sur le côté, contournant le fouet qui claqua trop sur sa gauche pour le toucher. Ses griffes partirent en avant, visant le bras armé de l'Arnaith.

Catelyn eut un sourire amusé.

Eh bien, je suis flattée que ma réputation me précède. Il est dommage que cela ne soit pas de même pour toi.

Elle savait que le félin était lui aussi haut placé dans la hiérarchie, mais pas à quel niveau. Quand il se jeta sur elle, elle fit à nouveau claquer son fouet, mais le manqua. Elle fit un pas de côté, mais pas assez rapidement : les griffes du félin s'enfonçèrent dans la chair tendre de son bras. Sous la douleur, elle lâcha son épée. Cependant, elle profita de son élan et de celui de son adversaire pour se retrouver derrière lui. Elle lui mit un coup de pied juste derrière le genou, le forçant à ployer, et roula sur la côté afin de récupérer son arme. Son bras la faisait souffrir, trop pour tenir son épée correctement. Elle saisit une de ses dagues et la lança vers le félin, puis prit son arme de la main gauche. Son bras droit ne lui serait plus d'aucun secours...

Algol connu un instant de pure jouissance lorsque ses griffes tailladèrent la chair et que le sang de l'humaine gicla sur sa main pâle. Un souffle s'échappa de ses lèvres:

"Personne n'a jamais vécu pour transmettre ma véritable réputation."

Pour une fois, il n'exagérait pas: la folie qui déliait parfois ses capacités n'avait jamais laissé de survivant, ni parmis les proies, ni parmis les alliés. Une ombre passa dans le regard d'Algol.

*Non, ne pense pas à elle, pas maintenant!*

Trop tard, sa distraction lui fut fatale: l'Arnaith le frappa d'un coup de pied diablement bien ajusté juste derrière le genou gauche, et l'onde de choc se répercuta jusque dans sa cuisse où elle explosa en une gerbe de douleur et de sang. Algol poussa un rugissement de souffrance et tomba, incapable de se réceptionner sur ses deux jambes.

Mais même à terre, il n'était pas aussi vulnérable qu'on aurait pu le penser. Il disposait toujours de ses trois autres membres, et il était aussi à l'aise en mode quadrupède que bipède. Il se redressa en appui sur ses mains et son membre postérieur fonctionnel, le souffle court, le regard brillant sous l'effet de l'adrénaline. Son sang commençait à couler du tissu saturé de son pantalon, formant de petites taches sur la poussière du sol de la caserne. Mais Algol était trop focalisé sur son combat pour se soucier d'une simple blessure. Il s'autorisa même un petit rire en voyant que l'Arnaith s'arrangeait pour se battre sans son bras droit.

"Un partout."

Ce fut dans cette posture qu'il surprit le lancer de dague de l'humaine, habile mais pas assez. Il griffa vivement l'air juste devant lui et on entendit le cliquetis du couteau qui tombait au sol. Ses doigts agiles se refermèrent sur l'arme et la retournèrent à l'envoyeur d'un geste vif. Algol ne se faisait pas d'illusion sur l'efficacité de son tir: il n'était pas lanceur de couteau. Mais cela lui accordait une diversion de choix pour se jeter à nouveau à la gorge de l'humaine. Terminé les coups de semonce, maintenant il frappait pour tuer.

Il faut bien laisser quelques survivants pour construire une réputation. Cela peut-être utile...

Catelyn ne pouvait s'empêcher d'admirer la rapidité et la grâce de son adversaire. Il lui renvoya le couteau. Elle se déporta sur le côté pour éviter le jet fatal. C'est alors que son adversaire en profita pour se jeter sur elle. Plutôt que d'esquiver sur le côté, ce qui lui aurait été impossible, elle accompagna le mouvement du félin en se laissant choir en arrière. Les griffes de son adversaire lui entaillèrent l'épaule. Elle serra les dents sous l'effet de la douleur. Elle saisit alors un des poignets de la créature et de ses jambes, elle le frappa à l'abdomen et l'envoya valser quelques mètres derrière elle. Elle se releva et fit claquer son fouet vers le félin.
Son bras la faisait atrocement souffrir, de même que son épaule. Le cuir comprimait ses chairs et ralentissait l'hémorragie, mais cela ne suffirait pas longtemps.

Tu te bats bien, je dois l'admettre. C'est un bonheur que de trouver un adversaire de ta trempe. Si tu savais comme cela est rare.

Elle sourit malgré la douleur.

Algol poussa un grognement mécontent lorsque les pieds de l'humaine se plantèrent dans son ventre pour l'envoyer voltiger. Il tomba à plat dos, ce qui lui coupa le souffle et l'empêcha de rire de sa situation: se faire malmener de la sorte par une humaine, fût-ce l'adjointe du chef des Arnaiths... Ou elle était douée, ou il commençait à rouiller. Mais au moins il l'avait touchée: deux à un.

Il se redressait à peine lorsque le mouvement du fouet zébra le bord de son champ de vision. Trop tard pour l'éviter: il réagit instinctivement et écarta son bras de son corps, préférant recevoir le coup sur le côté que d'handicaper l'arme qu'était son membre supérieur. Il ne se rappela que bien trop tard qu'il n'avait pas affaire à un fouet ordinaire...

La soudaine angoisse qui lui saisit les tripes à cette idée le fit sursauter, et ce fut certainement ce qui lui sauva la vie: au lieu de s'enfoncer perpendiculairement dans son flanc, la lame décomposée attaqua son corps de travers. Elle ne toucha aucun organe, mais s'enfonça assez pour mordre les muscles et arracher un hurlement de douleur au félin. Algol roula sur le côté pour dégager le fouet de sa chair, mais cette fois-ci il ne parvint pas à se redresser totalement, même à quatre pattes. Son flanc lui faisait atrocement mal, et la perte de sang commençait à se faire significative. Deux partout.

"Je... je ne peux que te retourner le compliment."

Un sourire mauvais naquit sur ses lèvres. La souffrance lui embrumait dangereusement l'esprit, et Algol sentait monter avec une certaine inquiétude cette envie de meurtre qui guidait chacun de ses coups. Il ne voulait pas gagner après avoir perdu la raison: c'était un combat à la loyale, et son égo exigeait qu'il gagne à la loyale. Il se ramassa sur lui-même, prêt à bondir, mais préféra laisser l'initiative à l'humaine sur cet assaut.

Catelyn fut étrangement contente que le félin lui retourne le compliment. Il est vrai qu'un compliment venant d'un tel adversaire était toujours agréable. Elle le regarda attentivement. Elle l'avait gravement blessé au flanc. Son fouet était ainsi : cruellement dévastateur. Et elle le maniait avec brio. Mais une expression étrange s'était peinte sur le visage du félin, mélange de haine et... d'inquiétude? Inquiétude face à ce qui allait lui arriver? Perplexe, Catelyn n'esquissa pas un mouvement.

Qui es-tu?

Il était tendu comme la corde d'un arc, prêt à lui sauter dessus. Cependant, il ne bougeait pas. Elle hésita, lui laisser du temps l'aidait à récupérer des forces, mais à lui aussi. Ne valait-il pas mieux en finir maintenant? A nouveau, elle fit claquer son fouet, pas pour le blesser mais pour le forcer à réagir. Elle se tenait prête à parer un nouvel assaut.

Un fugitif rictus découvrit les crocs d'Algol lorsque le fouet claqua près de son oreille.

*Fais-la arrêter. Tue-la. Déchire-la.*

Il prit le risque de serrer violemment les paupières l'espace de deux secondes et sa respiration se calma quelque peu. Il ne voulait pas céder, pas cette fois. Il était capable de se battre sans devenir cinglé à chaque fois qu'il avait affaire à un fouet, il devait en être capable. Lorsqu'il parla, sa voix était dangereusement basse.

"Je me nomme Algol, sous-chef de la Thianra. Et je te déconseille de continuer à jouer de la sorte avec ton fouet, sinon il risque de t'arriver quelque chose de fort regrettable."

Mais l'humaine semblait impatiente d'en finir. Pas étonnant: pour l'instant, elle était légèrement avantagée par ses vêtements serrés qui comprimaient ses artères et réduisaient un peu ses hémorragies. Mais sur un plus long terme, Algol l'emportait en résistance à l'anémie. De plus, s'il attaquait alors qu'elle le repoussait, c'était lui qui dépensait le plus d'énergie.

*Tu crois me manipuler aussi facilement? Tu te trompes lourdement...*

Le fouet claqua à nouveau, si près de son visage qu'il sentit le souffle du coup ébouriffer sa tignasse noire. Mais il ne laissa pas passer l'affront, cette fois-ci: son bras droit se leva brusquement et ses griffes interceptèrent la lame décomposée sans qu'il se blessât. Un sourire satisfait vint se graver sur ses lèvres tandis qu'il agrippait plus solidement l'arme avec ses autres griffes et tirait violemment dessus.

Le félin senblait en conflit avec lui-même faisant des efforts pour... pour quoi au fait? Cela intriguait la jeune femme.
Le geste d'Algol, puisque c'est ainsi qu'il se nommait, surprit Catelyn. Néanmoins, elle tint fermement son arme dans la main. Il tira violemment dessus. Plutôt que de résister, elle suivit le mouvement et fonça sur son adversaire, le déséquilibrant. Ils tombèrent à terre. Elle se releva promptement et tira sur son fouet pour le dégager des griffes de la créature.

*Le sous-chef de la Thianra? Je comprends mieux...*

Algol ne se laissa pas démonter par la parade de l'humaine: il plia les jambes et les ramena devant lui pour les détendre brusquement et frapper l'Arnaith avec toute la violence imaginable, juste sous le plexus solaire. Une giclée de sang s'échappa de son flanc lorsqu'il étendit ses membres postérieurs, mais il n'y prêta pas attention. Il se redressa vivement, sur un genou, et dit d'un ton goguenard:

"Et toi, quel est ton nom? Que je sache quel valeureux adversaire je vais tuer aujourd'hui."

Il prit tout juste le temps d'attendre la réponse avant de se lancer à l'attaque: puisqu'elle lui laissait l'initiative, il la prenait.

Les poumons de Catelyn se vidèrent de tout l'air qu'ils avaient engrangés. Des points noirs se mirent à danser devant ses yeux, alors qu'elle chutait lourdement au sol. Il lui fallu quelques secondes pour retrouver ses idées.
*Ce salaud m'a cassé une côte.* Triste constat du à une soudaine douleur au côté alors qu'elle respirait. Elle eut un sourire méprisant et dit d'une voix sifflante :

Je m'appelle Catelyn, ou la chasseresse, au choix. Et cela m'étonnerait beaucoup que tu me tues aujourd'hui.

Son fouet était dégagé aussi visa-t-elle l'autre jambe de la créature. Puis d'un mouvement rapide, elle fit à nouveau claquer son fouet deux fois. Cette fois, il était dans ses intentions de le blesser. Chaque gest manquait de la faire évanouir sous la douleur. Mais, elle n'était pas adjointe des Arnaiths pour rien...Elle serra les dents et resta consciente, vaille que vaille. Il serait pourtant si doux de se laisser aller...

Algol s'attendait à une riposte emplifiée par la fureur de l'Arnaith, mais pas à ce point. La lame extensible de l'épée fondit sur lui avec un sifflement vengeur qui déchira sa sensible oreille de félin. Il plongea sur le côté et parvint à éviter le premier coup qui visait sa jambe valide, il roula au sol pour échapper au deuxième... Un humain ordinaire n'aurait pu aligner que deux coups. Mais Catelyn n'était pas une humaine ordinaire. L'épée-fouet siffla pour la troisième fois et transperça l'épaule gauche du sous-chef de part en part.

Pour la première fois depuis le début du combat, Algol eut mal, si mal qu'il n'eut même pas la présence d'esprit de retenir le rugissement de douleur qui s'échappait de sa gorge. Un cri qui se termina dans une gerbe de sang. Le félin dut se tourner sur le flanc pour cracher avec un hoquet douloureux l'hémoglobine qui lui remontait dans la gorge. Le coup avait dû égratigner son système respiratoire.

*Tue-la, qu'est-ce que tu attends?! Arrache-lui la tête!*

Algol sentit sa respiration s'accélérer, ses pupilles devenir des fentes noires dans le miel de ses yeux...

*Non! Calme-toi, pour l'amour du Ciel!*

Hagard, le félin parvint à se mettre à genoux, une main serrée sur la lame toujours profondément enfoncée dans sa chair. La perte de sang et la souffrance lui faisaient tourner la tête. Il fallait qu'il mette un terme à ce combat, maintenant. Sinon... Il leva les yeux et devina que Catelyn s'apprêtait à tirer fermement pour récupérer son arme. Le coup en trop.

*Si elle ose faire ça...*

"Non, at... attends, ne..."

Son dernier coup porta au-delà de ses espoirs. Son épée-fouet était profondément enfonçée dans l'épaule du félin. Il cracha du sang... Elle avait donc dû toucher à son poumon. Malgré tout, sa suprémtie ne lui faisait pas plaisir. Bien que détestant les créatures, elle n'aimait pas les faire souffrir. Décidée à l'achever rapidement, elle s'apprêta à tirer sur son fouet. C'est alors qu'il la supplia d'attendre. Elle hésita. Toute sa rage s'évanouit, alors qu'elle regardait son adversaire. Une ombre passa sur son beau visage. Elle en avait assez, elle était épuisée et elle souffrait, tout ce qu'elle voulait c'était dormir... Elle ne bougea pas, mais sa voix se fit douce.

Pourquoi attendre? Nous ne pouvons pas rester indéfiniment comme cela... Je dois bien récupérer mon arme.

Elle se mordit la lèvre.

Tu es un valeureux adversaire, Algol de la Thianra. Je peux t'apporter une mort rapide et digne...

Cela pouvait paraître cruel, pourtant c'était sa manière de montrer son respect à ce félin qui le méritait grandement.

Si tu refuses, qu'arrivera-t-il? Je retirerai mon arme et tu te videras de ton sang...

Sa voix était incroyablement douce, laissant apparaître la douce jeune fille qu'elle pouvait-être avec ses amis, qu'elle aurait pu toujours être si les créatures ne l'avaient pas brisée...

Que faire? L'Arnaith avait raison, ils ne pouvaient pas rester infiniment comme cela. Si elle retirait son arme, Algol craquerait, il en était sûr. Trop de coups de fouet, trop de sang perdu... Il n'arriverait jamais à se retenir davantage, et ce combat d'égal à égal allait devenir une boucherie. Mais si Catelyn gardait une prise sur sa chair, elle allait l'abattre comme un chien pour mettre fin à ses souffrances...

Les crocs teintés de sang d'Algol se dévoilèrent lentement, en un sourire carnassier qu'il ne cherchait plus à retenir. Il refusait de mourir, fût-ce face à l'adjointe des Arnaiths. Ce n'était pas à lui de terminer ce combat dans une mare de sang. La pluie tombait toujours au-dehors, et la mélodie lugubre qu'elle jouait sur le toit de tôle servit de support à la voix étrangement assurée d'Algol:

"Très bien, tu l'auras voulu. Crois bien que je suis navré d'avoir dû en arriver là, Catelyn des Arnaiths."

Il poussa un effroyable rugissement tout en arrachant lui-même la lame de son épaule. Le monde autour de lui fut noyé dans un flot rouge et il dut s'appuyer sur ses bras pour ne pas s'écrouler. Tête baissée, il cracha encore un peu de sang. Puis il resta ainsi, le visage caché par ses cheveux trempés, ne laissant entendre qu'un souffle rauque.

Le ton d'Algol alerta la jeune fille. Quelque chose venait de se jouer, il avait pris une décision... Dans un effroyable rugissement, il retira la lame de Catelyn, la laissant abasourdie. Par réflexe, elle fit la manoeuvre permettant à son fouet de redevenir épée. Elle le regarda longuement, alors qu'il était à quatres pattes, sa respiration sifflante rythmant le temps, qui pourtant semblait suspendu. Soudain, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle se retrouva assise par terre, au même niveau que le félin. La volonté avait ses limites, et Catelyn venait de les atteindre. Elle porta sa main à son bras droit, poisseux de sang, elle ne sentait plus ses doigts. Vaguement inquiète, son esprit s'embrumait pourtant. Tout son corps devenait trop lourd à porter. Elle ferma les yeux et une larme perla à ses paupières jointes. Qu'il la tue donc! Elle se faisait horreur en cet instant.

Allez, fais ce que tu as affaire qu'on en finisse. J'en ai assez...

La jeune femme de 21 ans redevenait la petite fille de 10 ans qui avait perdu son humanité, ses illusions par la trahison d'un ami. Elle rouvrit les yeux et croisa ceux du félin...

Catelyn ne réagit pas à l'attaque d'Algol. Quand il fondit sur lui, elle ne frémit pas, n'esquissa pas un geste, elle se contenta de le regarder, refusant de fermer les yeux face à la mort. Seulement voilà, il ne la tua pas. Ni cette fois, ni celles d'après. Il jouait avec elle. Une pensée s'insinua dans son cerveau embrumé. Algol n'était plus lui-même. Il n'était plus ce félin élégant et maître de lui, il s'était transformé en bête sauvage et il allait la tuer mais doucement. Et cela, elle ne le supporterait pas. Envahie d'un calme surnaturel, elle attendit l'assaut suivant. Alors, elle détendit son fouet, vive comme l'éclair. Il s'enroula autour de la jambe déjà blessée du félin, s'enfonçant dans sa peau. Elle tira violemment dessus pour le faire tomber, espérant qu'il retrouverai ses esprits. Elle se jeta sur lui, l'immobilisant au sol.

Arrête!!! Tu es en train de te vider de ton sang idiot! Tu vas crever comme un animal, c'est cela que tu veux? Comme c'est glorieux!

*Pitié arrête, nous allons crever tous les deux*

Mais que lui arrivait-il? Pourquoi ne le tuait-elle pas tout simplement, plutôt que de tenter de le calmer...Elle n'en savait rien.

La morsure de la lame sur sa jambe arracha un rugissement à Algol, pas tant de douleur que de colère. Comment sa proie avait-elle l'affront de se défendre, de ne pas accepter son sort?! Il trébucha et tomba, indifférent au fait que si la lame de Catelyn avait attaqué sa cuisse légèrement plus perpendiculairement, il se serait retrouvé estropié à vie.

Lorsque l'humaine lui sauta dessus pour le saisir aux poignets, la rage d'Algol atteignit un paroxysme qui se vit jusque dans ses yeux. Les sons que produisaient l'humaine ne faisaient que le pousser à bout. Il feula comme un véritable animal et il se débattit avec la violence d'une bête sauvage. Il repoussa Catelyn sans la moindre concession et l'envoya jusque contre le mur de la caserne. Puis il bondit sur ses jambes et s'élança en

*Arrête...*

avant, un grondement féroce au fond de la gorge. Au diable la lenteur, il allait

*J'ai mal, arrête...*

la tuer maintenant, tout de suite, sans attendre davan...

Algol s'effondra à mi-parcours, à bout de forces: son corps avait largement dépassé ses limites. Toute l'énergie qui inondait encore son corps l'instant d'avant s'évanouit d'un coup, le laissant allongé au sol, gémissant de douleur. Il ne comprenait pas ce qui s'était passé: d'où lui venaient toutes ces blessures? Ce sang qui maculait la terre battue, était-ce le sien? Et l'Arnaith, l'avait-il tuée finalement? Oh, il avait si mal...

"C... Catelyn?"

Hagard, éperdu de douleur, il parvint à relever les yeux pour essayer de repérer son adversaire. Mais sa vision s'assombrissait trop vite, il n'y voyait déjà plus au-delà de deux mètres. Il laissa sa tête retomber, la respiration sifflante, les yeux mi-clos. Il commençait à avoir froid, ce qui ne lui était jamais arrivé de sa vie. Et à travers le froid, il commença à avoir peur...

Algol se débattait comme un forcené avec une force insoupconnable pour quelqu'un dans son état. Finalement à bout de force, elle abandonna et se retrouva projetée contre le mur. Elle ut l'impression que ses os allaient tous se briser tellement le choc fut violent. Sa côte cassée se rappela à son bon souvenir. Son bras se mit à saigner plus abondamment. Sonnée et anéantie par la douleur, elle perdit connaissance.
L'appel de son prénom la réveilla... Elle ouvrit péniblement les yeux, luttant contre la torpeur qui voulait la retenir. Mais céder signifierait mourir. Aussi se força-t-elle à ouvrir les yeux. Elle regarda Algol. Il semblait être à nouveau lui-même. Le corps du félin était à bout... et le sien aussi. Elle rampa difficilement à côté de lui et murmura d'une voix faible :

Et oui, toujours pas morte, je suis coriace.

Elle réfléchit deux secondes avant d'ajouter :

Mais que s'est-il passé? T'es possédé ou quoi?

*Arrête de te soucier de lui, Catelyn, tue le maintenant et file à l'hosto*
C'était la voix de la raison, mais la jeune femme n'était plus en état de raisonner. Désormais seuls son instinct et ses sentiments la guidaient...

En d'autre circonstances, Algol se serait mis à rire. Il aurait félicité Catelyn, il lui aurait appris qu'elle était la première à lui survivre lorsqu'il perdait tout contrôle. Il lui aurait demandé de l'achever, aussi. Mais au lieu de cela, il ne put que cracher encore un peu de sang - à croire qu'il en avait plus dans les bronches que dans les veines. Il entrouvrit les yeux jusqu'à pouvoir distinguer son adversaire puis murmura:

"La folie... n'est pas... le pro... propre de l'Homme..."

Son corps fut secoué d'un spasme et il se recroquevilla sur lui-même avec un gémissement. Il aurait aimé que ce soit moins douloureux de mourir. De toute façon, il n'avait pas à demander pour se faire tuer: l'adjointe Arnaith allait s'empresser de l'achever avant de se traîner jusqu'à l'hôpital. Algol s'étonnait même qu'elle ne l'ait pas déjà fait.

"Qu... qu'est-ce que... tu attends?..."

Et pourtant il ne voulait pas mourir, oh non. Il avait failli se tuer autrefois, mais ce temps-là était révolu. Il aimait sa vie, il aimait les sarcasmes de Noah, il aimait ses compagnons de la Thianra. Oh, comment pouvait-il avoir si froid, lui qui était croisé avec un félin de l'Himalaya? Une angoisse sourde noua l'estomac d'Algol lorsqu'il se rendit compte que Catelyn n'allait peut-être pas l'achever, mais courir le risque de le traîner jusqu'à son QG pour l'emprisonner.

*Non. Tout mais pas ça.*

"T... Tue-moi ou laisse-moi, mais... mais ne..."

Sa voix s'éteignit et il renonça à finir sa phrase, au bord de l'inconscience. Ce fut tout juste s'il eut la force de garder les yeux ouverts pour lancer un regard flou vers Catelyn.