A bout de force

(Suite du topic "la caserne")

Ereintée, Catelyn s'écroula à quelques pâtés de maison de l'hôpital. Mais sa mort n'était pas écrite pour ce jour-là. Un membre de l'Arnaith qui passait par là, la reconnut et l'emmena directement à l'hôpital. Elle luttait pour ne pas sombrer. Elle était exsangue et son coeur battait de moins en moins vite, de moins en moins régulièrement. Quand enfin ils atteignirent le hall des urgences, une batterie de médecins et d'infirmières l'entoura. Alors qu'on la mettait sur une civière, elle murmura :

Il y a un blessé, à la caserne, vite.

Puis elle sombra dans l'inconscience et le néant.

Il a toujours aimé le rire d'Ophélie. Dès la première fois qu'il l'a entendu depuis sa cage, à la boutique, il l'a aimé. Et il n'apprécie rien tant qu'interrompre ce doux rire en posant ses lèvres sur celles de l'humaine. Il les trouve sucrées, comme une friandise. Enfin, d'habitude. Cette fois, les lèvres d'Ophélie ont un goût amer, un goût de sang. Il sent les mains de la jeune femme le repousser doucement. Il s'écarte et la regarde. Sa bouche s'ouvre pour crier, mais aucun son n'en sort. Tout ce sang sur elle, ces plaies béantes dans son ventre et sa poitrine, ce rouge sombre qui macule son beau visage... et les griffes que la créature a sorties...

"Je te faisais confiance, Algol."

_______________


Le félin gémit et voulut se tourner sur le côté, mais quelque chose le retint et il resta sur le dos. Il s'accrocha à cette résistance sur sa peau pour émerger de l'inconscience, s'éloigner de ce cauchemar atroce qui le poursuivait. Il se réveilla avec difficulté. Il avait chaud, agréablement chaud. Une odeur de désinfectant agressa ses narines sensibles et il se força à ouvrir les yeux.

Des murs couleur crème, une batterie d'écrans parcourus de diverses courbes et droites. Plus loin, d'autres lits qui contenaient des créatures plus ou moins âgées. Elles dormaient toutes. Algol cligna des paupières pour s'éclaircir l'esprit: il se trouvait à l'hôpital, vivant vu la sourde douleur qui tiraillait l'ensemble de son corps. Comment était-ce possible?

"Déjà réveillé? Eh ben, on peut dire que tu es résistant."

Algol fit l'effort de tourner la tête et vit un homme en blouse blanche entrer dans la chambre, une expression plutôt hostile sur le visage. Le félin reconnut soudain le vétérinaire qui s'était occupé de lui après son combat avec Opale, ce qui lui fit l'effet d'un électrochoc. Il voulut instinctivement se redresser, mais il sentit à nouveau une résistance au niveau de ses poignets et de ses chevilles. Il baissa les yeux et constata que d'épais bracelets de cuir le retenaient au lit.

"Qu'est-ce que..."

"Je ne pensais pas que tu reprendrais connaissance aussi vite, surtout après l'arrêt cardiaque que tu as fait dans l'ambulance. Mais bon, les créatures ont toujours été plus solides que les humains."

La dernière fois qu'Algol était venu à l'hôpital, cet homme lui avait adressé la parole avec gentillesse. Mais cette fois, il était railleur et méfiant:

"Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup, deux visites à l'hôpital en moins de deux semaines et à chaque fois en compagnie d'un humain blessé?"

Il saisit une seringue stérile sur un plateau mis à sa disposition, la sortit de son emballage et attrapa un petit flacon de sérum sur le même plateau. Algol se hérissa et tira sur ses liens, ignorant les violentes protestations de son corps malmené:

"Qu'est-ce que vous faites?!"

"C'est l'adjointe des Arnaiths qui nous a indiqué où tu te trouvais. Vu ses blessures qui correspondent au gabarit de tes griffes, et les tiennes qui ont été causées comme par hasard par une arme semblable à celle de l'adjointe, tu comprendras que nous soyons méfiants."

Le vétérinaire purgea attentivement la seringue. Algol sentit un grondement menaçant monter dans sa gorge.

*Pour qui se prend ce connard?!*

Le sous-chef tira violemment sur le bracelet qui enserrait son poignet droit, et il parvint presque à le libérer. Le vétérinaire sursauta et saisit vivement la perfusion d'Algol pour y injecter tout le contenu de sa seringue. Le félin poussa un feulement mécontent, mais c'était trop tard: il n'eut même pas le temps de demander ce que le vétérinaire venait de lui injecter que ses muscles se détendaient déjà et que sa respiration ralentissait soudainement. Algol retomba sur l'oreiller avec un gémissement, aussi innofensif qu'un chaton. Le vétérinaire commenta calmement:

"De plus, je serais prêt à parier que ta "maîtresse" que nous avons soignée la dernière fois avait aussi été blessée par des griffes qui ressemblent aux tiennes. J'ignore pourquoi l'adjointe a insisté pour qu'on te sauve, mais en attendant qu'elle soit capable de me le dire, je vais te garder sous calmants. Sois bien sage."

Catelyn a 10 ans... Elle joue avec son ami. Il fait beau, ils sont dans le jardin, cachés par les branches du saule pleureur. Ils rient, bavardent. Elle aime beaucoup Drake. Il est beau, plus grand qu'elle, plus vieux, il a un visage grave et de beaux yeux verts qui s'illuminent quand il rit. Ses cheveux auburn, indisciplinés accrochent le soleil. Ils s'embrassent. Plus tout à fait enfants, pas encore adolescents, ils s'apprécient... Ils se jurent de toujours rester amis, que rien ne les séparera...
Un soir d'orage, les éclairs zèbrent le ciel et sa vie bascule. Elle assiste, horrifiée aux meurtres des siens, elle se sauve, se cache. Drake la retrouve, elle implore, mais dans ses prunelles vertes ne brûle que la haine. Il lui enfonce ses griffes dans le ventre, elle sombre dans le coma...
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Catelyn ouvrit péniblement les yeux, confuse. Elle se rendit compte que des larmes perlaient à ses paupières. Cela faisait plus de 10 ans... Quand cesserait-elle de revivre ce drame? Son bras était en écharpe. Elle ne sentait rien... Droguée à la morphine, sans doute. Une infirmière entra dans la chambre, afin de prendre ses constantes.

-Oh, vous êtes réveillée! Quelle surprise! le médecin va en être heureux!

Elle s'éclipsa. Catelyn tenta de rassembler ses idées. Son esprit embrumé refusait de lui donner la clé de l'énigme. Elle se rendormit.
A son réveil, ses idées étaient plus claires. Tout lui revint en bloc, son combat avec Algol, ses blessures... le fait qu'elle avait tentée de lui sauver la vie. Pourquoi avait-elle agit ainsi? Elle n'en savait rien. Le félin avait remué quelque chose en elle... Le médecin arriva.

-Mademoiselle Jadenoire! Bonjour! Comment vous sentez-vous?

catelyn avala sa salive.

-Bien, enfin je crois.

-Mais que s'est-il donc passé?

-Le félin... il est ici?

Le médecin se renfrogna.

-Oui, il est vivant, il s'en sortira. Que s'est-il passé?

Catelyn réfléchit à toute vitesse.

-Nous nous sommes battus. Vous avez bien fait de le soigner, vous serez grassement récompensé. Je dois le ramener avec moi.

Le médecin la regarda, dubitatif, mais n'insista pas.

-Très bien, nous le maintenant sous calmants por éviter qu'il ne nous échappe.

-Parfait! faites ainsi jusqu'à ce que je puisse le voir.

Elle se tut, et ferma les yeux, signifiant que la conversatio était close. Dans quel pétrin s'était-elle fourrée?

Algol pensait connaître le sens du mot "frustration", mais c'était avant de se retrouver attaché à un lit d'hôpital, drogué jusqu'à la moelle. Il avait beau s'efforcer de rassembler ses pensées, les calmants s'empressaient de les disperser, certainement pour sauvegarder la tranquilité de son esprit... Le félin essaya pour la énième fois de bouger, de s'arracher à ses liens. Rien à faire, un vrai légume qui pouvait à peine tourner la tête.

Il avait beau essayer de se le cacher, son esprit engourdi avait peur. Peur que Catelyn oubliât ce qu'elle avait dit dans un moment d'épuisement à la fin de leur combat, peur qu'en voyant le sous-chef de la Thianra pieds et poings liés elle ne cédât à la tentation de l'amener à Cloud. Algol frissonna et serra les paupières: il ne voulait pas se retrouver entre les griffes de cet homme. Cloud était prêt à n'importe quoi pour faire tomber la Thianra et asservir Noah, et il ne reculerait devant aucun supplice pour arracher des renseignements à un prisonnier d'aussi grande valeur qu'Algol.

Un bruit attira son attention et la créature rouvrit les yeux: une infirmière venait de changer sa perfusion, sans oublier d'y injecter une nouvelle dose de calmant.

"N... Non, ne..."

La jeune femme lui sourit et lui caressa brièvement les cheveux, comme on le fait avec un animal anesthésié qui s'agite:

"Ne t'inquiète pas mon beau, ça ne te fera pas de mal. C'est juste pour que tu restes bien tranquille le temps qu'on sache d'où tu sors."

Elle eut alors un geste qui horrifia Algol: elle tendit la main vers son cou pour lui enlever le collier d'Ophélie. Il tenta de protester, de se débattre... Sans résultat compréhensible, évidemment. Mais cela suffit pour que l'infirmière s'arrêtât, surprise:

"Ca va te gêner, on aurait déjà dû te l'enlever. Tu es sûr de vouloir le garder?"

Algol mobilisa toute sa concentration pour articuler:

"Laissez-le moi, je vous en prie."

"Bien, comme tu veux."

Elle s'écarta en haussant les épaules. Le félin lâcha un profond soupir de soulagement, avant de distinguer une silhouette dans l'encadrement de la porte d'entrée.

Catelyn recouvrait vite ses forces. Elle avait reçu quatre culots de sang la première journée et deux autres, le jour d'après. L'anémie était régulée. Elle mangeait le plus possible, se reposait. Elle devait récupérer. Le troisième jour, on l'autorisa à effectuer un premier lever. Malgré un léger étourdissement, le résultat fut concluent. Elle profita de cette journée pour marcher un peu dans sa chambre, tentant d'assouplir ses muscles. Sa côte cassée lui faisait à nouveau mal, résultat d'une annulation des opiacées, remplacés par de simples antalgiques.
Le quatrième jour, elle se rendit au chevet d'Algol.
Elle allait rentrer dans sa chambre quand elle surprit une conversation. Le ton de l'infirmière était doux.
*Voilà une vraie professionnelle, dont le jugement n'affecte pas les actes*.
Cette histoire de collier l'intriguait. Elle s'effaça devant l'infirmière, qui lui lança un regard surpris.

-Pas de violence ici, mademoiselle.

Décontenancée, Catelyn bredouilla :

-N...non. Ne vous en faîtes pas.

L'infirmière hocha la tête et s'en fut.
Alors Catelyn entra dans la chambre. Algol avait l'air complêtement drogué. Elle s'avança, prit un siège et s'assit, épuisée par son chemin dans le couloir.
*Quelle mauviette, ma pauvre Cat...*

Eh bien, finalement nous sommes plus résistants que nous ne le pensions...

Elle le regarda.

Que vais-je faire de toi maintenant?

Sa question trahissait sa confusion et son angoisse. Elle savait que son devoir lui dictait de le ramener pieds et poings liés à Cloud. Elle n'osait imaginer ce qui se passerait si Cloud apprenait qu'elle l'avait laissé partir. Elle enfouit sa tête entre ses mains, malmenée par des sentiments contraires.

Algol dévisagea Catelyn du coin de l'oeil. Le combat l'avait beaucoup éprouvée et elle mettait du temps à se remettre, apparemment, plus que lui-même. Mais ce jugement ne valait pas grand chose: le félin n'arrivait pas à déterminer dans quel état il se trouvait. Son corps l'élançait, mais ses sens troublés n'arrivaient pas à associer sa douleur à la gravité de ses blessures. Il ne savait même pas depuis combien de temps il était à l'hôpital. Quelques heures? Un jour? Une semaine? Les drogues lui avaient complètement fait perdre la notion du temps. Il ne pouvait même pas se baser sur le rythme de ses repas: on le nourrissait par intraveineuse depuis son arrivée. Il balbutia d'une voix rauque qui aurait pu être ironique dans d'autres circonstances:

"Ca faisait... longtemps..."

Il entendit la jeune femme se demander à voix haute ce qu'elle allait faire de lui. Le temps pour Algol de faire l'effort de tourner la tête, elle avait enfoui son visage dans ses mains. Ainsi, elle doutait... La créature passa la langue sur ses lèvres sèches et força sa voix pâteuse à parler:

"Enlève-moi ça... s'il te plaît..."

Il désignait la perfusion du regard. Il n'en pouvait plus de cette mélasse qui engluait presque plus son cerveau que ses muscles. Pour lui qui avait l'habitude de réfléchir vite et bien, cette situation humiliante devenait insupportable.

La voix d'Algol la tira de son hébétude.

Ca fait quatre jours.

Sa supplication lui alla droit au coeur. Mais, elle ne savait pas si c'était sage d'accéder à sa requête. Hésitante, elle se mordit l'ongle du pouce. En même temps si il se sauvait, cela faciliterait les choses. Soudain, son regard se fit plus déterminé, ses gestes plus calmes. Elle savait ce qu'elle devait faire. Elle s'approcha d'Algol, retira le sparadrap transparent et retira l'aiguille d'un geste sec. Elle appuya dessus quelques minutes et souffla au félin :

Sauve-toi... Dés que tu pourras, sauve-toi Algol!

Quatre jours?! Cela faisait quatre jours qu'on inondait sans interruption son corps de neuroleptiques divers et variés? Encore heureux qu'il n'ait pas été humain, il y aurait laissé plus que sa santé mentale (déjà bien entamée de toute manière).

*Au fait, c'est long comment quatre jours?*

Algol ne parvenait même plus à se mettre en colère. Il savait qu'il aurait dû s'indigner de ce que les médecins lui faisaient subir, hurler à Catelyn d'arrêter cette horreur tout de suite, mais il n'y arrivait tout simplement pas. Plus le temps passait, plus il devenait apathique et moins il s'en rendait compte. C'est pourquoi il ne comprit même pas cette sensation désagréable dans son bras lorsque l'humaine lui ôta vivement sa perfusion. Il avait déjà oublié qu'il lui avait demandé de le faire.

"Sauve-toi... Dès que tu pourras, sauve-toi Algol!"

Se sauver... Les mots se frayèrent un chemin dans son esprit anesthésié pour réveiller un tout petit peu sa conscience des évènements. Il bougea doucement les doigts, comme pour mieux sentir la légère gêne laissée dans son bras par la petite pointe de la perfusion.

*Est-ce que... est-ce qu'elle est en train de me laisser partir?*

Algol serra les paupières aussi fort qu'il le put dans l'espoir de s'éclaircir les idées. Il réussit à remonter encore d'un cran dans l'analyse de ce qu'il se passait et il sentit avec un indescriptible soulagement une légère émotion faire accélérer son coeur.

"M... merci... vraiment merci..."

Il rouvrit les yeux pour regarder Catelyn. Cela faisait très longtemps qu'Algol ne s'était pas sentit aussi reconnaissant envers quelqu'un, qui plus est un humain, et cela se vit dans son regard. Il se rendit compte qu'il voyait de nouveau le visage de l'adjointe en relief. Son métabolisme génétiquement modifié éliminait rapidement les tranquilisants, on dirait...

La reconnaissance d'Algol réveilla un écho douloureux dans la poitrine de la jeune femme. Elle masqua son trouble et se mit à rire :

Et quoi? Ce serait dommage de perdre un adversaire comme toi! Ils sont rares de nos jours, hélas.

Son ton était cynique, sans chaleur... Si elle n'avait pas été ce qu'elle était, une amitié avec le félin aurait été envisageable... Mais le destin en avait voulu autrement... Elle se retourna et s'apprêta à partir.

Va-t-en...

Cette fois, sa voix avait des accents mélancoliques...

Algol n'apprécia guère la réponse railleuse de Catelyn. Quel revirement: il aurait pu jurer qu'elle se moquait de lui, à présent. Malgré ses sensations qui revenaient à une vitesse rassurante, le félin était encore loin d'avoir récupéré sa vivacité d'esprit habituelle, si bien que le trouble de Catelyn faillit lui échapper. Mais il avait entrevu quelque chose dans son regard, peut-être un simple reflet, mais...

*Allez, secoue-toi!*

Un lien se fit dans son cerveau avec la caserne, ce combat sanglant que les drogues faisaient paraître déjà si lointain. Algol poussa sur ses chevilles toujours entravées pour remonter légèrement sur ses oreillers (quatre jours dans la même position, il y avait de quoi être ankylosé) et focalisa toute l'attention qu'il pouvait rassembler sur la silhouette de Catelyn qui s'éloignait d'un pas peu sûr.

"Cette plaie... ton ventre... c'était pas un combat, hein?"

Algol parvint à s'irriter de sa syntaxe encore approximative, ce qu'il trouva plutôt positif.

Aux paroles d'Algol, Catelyn se figea. Trop d'émotions l'envahirent : rage, colère, tristesse, désespoir. Elle se retourna lentement, blême de rage.

Comment oses-tu?Je...tu...

Les mots se bousculaient dans sa gorge. Elle était suffoquée. Finalement, elle se calma et une larme roula sur sa joue.

Cette cicatrice, je la dois à mon meilleur ami... Une nuit... Il y a eu une rebellion, ma famille a été massacré et mon meilleur ami m'a tuée...

Sa voix était lointaine alors qu'elle replongeait dans ses souvenirs. Puis, elle le regarda droit dans les yeux.

Nous ne devenons pas ce que nous sommes par hasard...

Ses yeux ambres étaient emplis de détresse et de doute. Mais cela ne dura pas. Elle se ressaisit et demanda :

Dis-moi... tes accès de folie ont du te causer des problèmes non?

Elle n'était pas cynique, juste sincèrement intriguée.

Algol avait assez repris conscience pour craindre un instant d'être allé trop loin en parlant de la cicatrice de l'humaine. Le regard qu'elle lui lança en guise de réponse l'aurait fait tressaillir si ses nerfs avaient été dans leur état normal. Elle était furieuse. Si elle décidait de rebrancher la perfusion...

Mais l'accès de colère de l'adjointe ne dura pas, et Algol entendit avec étonnement ses explications. Il fut un peu lent à décoder la phrase de Catelyn, mais il en avait très bien saisit le contexte émotionnel: mort, larmes. Trahison. Surtout trahison. Elle devait se retrouver bien seule dans sa souffrance pour confier quelque chose d'aussi éprouvant à quelqu'un qui était censé être l'un de ses pires ennemis.

"Nous ne devenons pas ce que nous sommes par hasard..."

Evidemment, vu sous cet angle... Algol rassemblait ses pensées pour faire remarquer que toutes les créatures n'étaient pas des traîtres, lorsque Catelyn le questionna soudainement sur ses accès de schizophrénie. Le félin ravala ses paroles sentencieuses en même temps que sa salive et détourna le regard.

"Bien sûr que j'ai des problèmes avec ça... Tu es la première... la seule personne que je n'ai pas tuée alors que j'avais perdu l'esprit. Tu comprends pourquoi je n'ai p... pas de réputation? Il ne reste jamais personne pour en transmettre une."

Il ne voulait vraiment, vraiment pas en dire plus, mais il se doutait bien que Catelyn ne se contenterait pas d'une réponse aussi vague. Et il ne pouvait même plus se retrancher derrière les drogues pour s'excuser: il sentait bien qu'à chaque seconde qui passait il était plus en mesure de parler normalement. Il se força donc à préciser:

"Je suis incapable de faire la différence entre un ennemi et un allié dans ces cas-là, je ne sais même pas c... comment je me bats. Tout ce dont je suis sûr, c'est de reprendre conscience au milieu des cadavres."

Il osa enfin affronter les yeux de l'humaine, comme pour la mettre au défi de critiquer ce qu'il allait dire.

"J'ai déjà tué de mes mains des personnes qui avaient confiance en moi, si c'est ça que tu veux savoir."

La dernière phrase d'Algol fit à Catelyn l'effet d'un coup de poing. Elle ferma les yeux, sous l'effet de la douleur.

*Mon dieu, même lui a trahi...*

Cela lui fit mal. Décidément, il n'y en avait pas un pour racheter l'autre. Néanmoins, une petite voix dans sa tête lui rappela qu'il ne l'avait pas fait sciemment, pas comme...
*Non, stop!*
Elle se prit la tête entre les mains et secoua la tête pour chasser ces idées malsaines. Enfin, elle releva la tête et plongea son regard ambre dans celui du félin. Elle lui parla d'une voix douce, chargée de tristesse.

Ainsi, même toi, je ne peux pas te faire confiance, je pensais que...

Elle s'arrêta net, interdite. Mais que pensait-elle donc?

Je comprends que personne n'ait survécu...
acheva-t-elle dans un murmure.

Vu la réaction horrifiée que sa réponse provoqua chez Catelyn, Algol avait vu juste: de près ou de loin, dans des proportions toutes relatives, l'humaine avait fini par le placer au-dessus de la moyenne des créatures. C'était pour cela qu'elle lui avait envoyé une ambulance, pour cela qu'elle venait de débrancher la perfusion. Pour cela qu'elle avait commencé à dire qu'elle lui faisait confiance.

*Alors arrête de jouer avec le feu: si tu continues à lui faire du mal, elle va immanquablement t'amener à Cloud! C'est ça que tu veux?!*

"Je comprends que personne n'ait survécu..."

Les mâchoires d'Algol se serrèrent et il répliqua doucement:

"Je doute que tu comprennes ce que ça fait de... d'ouvrir les yeux pour réaliser que tu as éventré de tes mains la personne à... les personnes auxquelles tu tenais le plus au monde."

Il déglutit et refoula à grand peine les larmes qu'il sentait lui monter aux yeux. Il ne pleurait pas devant qui que ce soit, c'était un principe. Tout comme c'en était un de ne pas parler de son crime.

*Ophélie...*

Il en avait assez dit. Il tourna la tête à l'opposé de Catelyn et la posa sur l'oreiller.

"Je croyais que tu partais."

L'expression chagrinée d'Algol en disait long sue ce qu'il pensait.

Non, je ne sais pas ce que c'est de ne plus être maître de mes actes, mais je l'imagine...

Quand il lui demanda si elle ne devait pas partir, elle tressaillit comme sous l'effet d'une gifle. Elle rétorqua d'un ton acerbe :

Oui tu as raison, je ne me suis que trop attardée ici. Adieu Algol!

Elle se détourna et se dirigea vers la sortie d'un pas rendu raide par l'inactivité et la colère.

"Adieu Catelyn... et encore merci..."

Il l'avait murmuré, au point qu'il ne savait même pas si l'Arnaith l'avait entendu. Bah, peu importait: il ne s'était que trop attardé dans le sentimentalisme, il lui fallait sortir de cet hôpital avant qu'un membre du personnel soignant n'arrivât et ne vît qu'il n'était plus sous calmants. Il s'efforça de chasser Ophélie et l'adjointe Arnaith de son esprit et commença à tirer sur ses liens par petits coups secs.

*En espérant que Catelyn retournera directement à sa chambre sans changer d'avis sur ma "libération"... J'ai eu tort de finir sur une note négative...*

Catelyn entedit faiblement les paroles d'Algol... Si faiblement, qu'elle se demanda si elle ne les avait pas inventée. Elle jeta un coup d'oeil par dessus son épaule. Elle se détourna et soupira.

*Quelque fois, je te hais Catelyn...*

Elle sortit enfin de la chambre, ferma la porte et se dirigea vers sa propre chambre. Elle ne resterait plus longtemps dans cet hôpital, il lui tardait de rentrer chez elle...

Lorsque le vétérinaire entra dans la chambre pour sa tournée quotidienne, le soleil commençait à baisser sur l'horizon. Son collègue du service de chirurgie humaine l'avait prévenu de l'évolution de l'adjointe Arnaith: elle n'allait pas tarder à être en état de quitter l'hôpital, et elle avait dit vouloir emmener son prisonnier avec elle. Elle était même venue le voir, quelques heures auparavant. Le vétérinaire rit doucement et s'approcha du lit d'Algol. Le félin avait les paupières mi-closes, son corps de nature tonique et souple gisant entre les draps sans la moindre énergie.

"Alors mon minet, on voyage au pays des rêves artificiels?"

L'humain ne comprit pas tout de suite d'où sortait la main qui venait de se refermer sur sa gorge, étranglant sa voix et toute tentative d'appel à l'aide. Puis il vit le bracelet arraché qui ceinturait le poignet de son agresseur, la marque de la perfusion absente de l'avant-bras. Et les yeux couleur miel qui le foudroyaient avec toute la haine possible entre deux mèches de cheveux noirs.

"Le voyage était mal organisé, je suis rentré plus tôt que prévu."

Algol détendit brusquement son bras et envoya valser l'humain contre le mur. Le vétérinaire produisit un bruit sourd en s'écrasant sur le crépis blanc, avant de s'effondrer sur le carrelage comme une marionette dont on aurait coupé les fils. Algol se redressa alors dans son lit et utilisa sa main enfin libre pour ouvrir ses autres entraves. Il avait attendu le plus longtemps possible pour que les effets des calmants s'estompent au maximum, et cela avait eu pour effet secondaire de le rendre plutôt malade: il était nauséeux et un peu fiévreux, mais au moins il avait les idées claires.

Le félin arracha avec rage les diverses sondes et capteurs reliés à son corps avant de sauter à bas de son lit. Ce simple geste failli l'envoyer à terre: non seulement ses jambes s'étaient déshabituées de la marche, mais en plus une violente morsure avait transpercé sa jambe gauche. Il était toujours blessé, il avait failli l'oublier.

Titubant, Algol alla fermer la porte de la chambre. Puis il revint sur ses pas, s'appliquant pour marcher convenablement, en ignorant les protestations de son corps meurtri. Il s'accroupit près du vétérinaire et le déshabilla vivement, avant d'ôter ce pyjama qui lui faisait horreur pour revêtir la panoplie de l'humain. Il eut un peu de mal avec la cravate, qu'il tenait à nouer par-dessus son collier malgré ses doigts engourdis, mais il vint finalement à bout des vêtements. Il lâcha même un soupir de contentement en enfilant la blouse blanche.

*Ca va déjà mieux...*

Il commença alors à faire le tour des autres lits pour trancher de quelques coups de griffes bien ajustés les perfusions de tranquilisants et les liens des autres créatures. Ses réflexes revenaient à une vitesse très satisfaisante, et Algol était sensiblement de meilleure humeur en revenant à son point de départ, près du vétérinaire. Celui-ci gémit doucement, comme quelqu'un qui va se réveiller d'une seconde à l'autre. Un sourire carnassier se peignit sur les lèvres d'Algol, qui saisit l'humain en caleçon par les bras pour aller le jeter sur le lit que lui-même venait de quitter. Tranquillement, le sous-chef referma les trois bracelets intacts sur les membres du vétérinaire, puis il raccrocha de son mieux celui qu'il avait arraché. L'humain choisit d'ouvrir les yeux au moment ou Algol attrapait l'aiguille de la perfusion.

"Mais... AU SEC..."

Algol le frappa au visage pour le faire taire et en profita pour planter habilement la perfusion dans l'une des veines de l'avant-bras de l'humain. Il avait visé juste du premier coup, ses sens surdéveloppés compensant son manque d'expérience. Le vétérinaire émit un glapissement et retomba instantanément sur l'oreiller, la mâchoire et les paupières tremblantes.

"Pas... enlève... trop, ce... c'est trop..."

Algol s'accouda sur le bord du lit et lui susurra d'une voix délicieusement sadique:

"Allons, restez tranquille mon bon monsieur, ça ne vous fera pas de mal. La dose est un peu forte pour un humain, c'est ça? Oh, vous m'en voyez navré, mais je suis une créature stupide et brutale qui n'a pas la moindre idée de la manière dont on régule la perfusion. Quel dommage."

Puis il se pencha un peu plus pour ajouter:

"Je t'aurais bien renfilé la sonde urinaire, mais il se trouve que je suis plutôt pressé. Disons que tu as eu de la chance, petit salopard. Dors bien."

Algol eut un rire tout sauf sympathique avant de faire demi-tour. En passant devant un local du personnel, près de la porte de la chambre, il attrapa une paire de lunettes de soleil pour cacher ses yeux ambrés. Puis il sortit en claquant la porte, abandonnant les créatures qui commençaient à reprendre conscience et l'humain à son triste sort. Il n'avait plus qu'à atteindre la sortie sans être reconnu, et c'était gagné...

Catelyn, de sa chambre, entendit du bruit et entrouvrit la porte. Sans le couloir, c'était l'anarchie, les créatures, mystérieusement libérées se sauvaient dans la plus grande confusion.

*Ce n'était pas prévu dans le contrat, ça, Algol!*

Elle s'était rhabillée, quittant l'horrible chemise fendue de l'hôpital. Prête à partir, elle se faufila dans le couloir et s'adressa au médecin d'une voix glaciale et hautaine.

-Mais qu'est ce que c'est que ce bazarre? Ou est la créature que j'ai ramené?

Il la fixa, terrorisé.

-Je...euh... il est partit.

Il avala péniblement sa salive, attendant sa punition. Elle se contenta de le toiser froidement.

-Votre incompétence est effrayante.

Sans ajouter un mot, elle sortit de l'hôpital.

(Fin du topic, en tout cas pour moi )

Appuyé contre le mur du bâtiment qui faisait face à la sortie des urgences, Algol regardait avec amusement les créatures sortir de l'hôpital en semant une pagaille monstrueuse sur leur passage. Voilà ce qu'il appelait sortir de scène. Au moment où il se détachait du mur, il vit une infirmière jaillir en hurlant de la porte à tambour des urgences, poursuivie par un lion visiblement fou de rage. Les mains dans les poches, Algol franchit la rue d'un bond discret, se réceptionna sur sa jambe valide et attrapa la créature au passage. Le lion était massif et le choc qui se répercuta dans l'épaule mal cicatrisée du sous-chef le fit grimacer, mais ce n'était pas grave.

"Reste poli avec la dame, je te prie."

La créature montra les crocs et fit mine de se jeter sur lui, mais Algol l'arrêta d'un regard.

"Ne me provoque pas et file."

Interdit par l'assurance de cette créature pourtant plus petite que lui, le lion hésita, puis préféra s'éloigner. Algol ôta ses lunettes de soleil et sourit à l'infirmière, pantelante, qui s'était arrêtée non loin de là. Il la connaissait.

"Merci de m'avoir laissé mon collier."

Puis il pivota sur lui-même et franchit à nouveau la rue pour escalader en quelques bonds agiles l'escalier de secours de l'immeuble d'en face. Il disparut derrière le rebord du toit exactement trente-deux secondes avant que Catelyn ne franchît la porte tambour pour s'éloigner dans les rues de Paris.


[Fin topic ^^]