Bureau de Catelyn : R.I.P // PV Catelyn

Bon à la base, il ne l’avait jamais vraiment côtoyé de près, cette armoire à glace aux cheveux blancs et à l’air perpétuellement mal embouché et menaçant qu’était Araknos. Mais dans l’idée d’Angelo, il était quelque chose comme immortel, impossible à tuer, un vrai dur à cuire quoi, le genre de mec qui se relève après avoir eu le ventre troué et tous ses boyaux étalés par terre. Mais d’après le rapport qu’il a en main, les spécialistes sont formels ; la carcasse pourrie qu’une équipe d’intervention a trouvé quelque part, dans un endroit peu recommandable, c’est bien Araknos Ariklièm. Enfin, c’était. La panthère noire, de nature curieuse, regarde dans le dossier, écartant les pages de deux doigts habitués à la manipulation des tas de papiers. Il fait une petite grimace de circonstance – en réalité ça l’affecte pas plus que ça – quand il tombe sur les photos du cadavre. Déjà qu’il n’aimait pas trop Araknos de son vivant – trop fort, trop grand, trop tout, il était tout simplement too much et ça dérangeait ses sobres habitudes félines – mais alors là… Il ne lui a jamais paru aussi peu sympathique. Et c’est dire.

Comme à son habitude, il fera un petit détour par la machine à café – il y est tellement souvent qu’il envisage d’acheter des actions dans la société distributrice de café, sûr qu’il gagnerait plein de pognon à ce petit jeu-là – prenant un grand café noir. Aujourd’hui, c’est pénitence, la machine est en rade de sucre – et merde, le café sans sucre c’est pas tellement ce qu’il préfère, l’hybride. Il a eu pour mission périlleuse du jour l’acheminement du dossier « mort d’Araknos » jusqu’au bureau de Catelyn. Ne riez pas, c’est super dangereux : éviter les secrétaires gloussantes de son bureau, slalomer entre les collègues qui auraient potentiellement des trucs à lui demander, fusiller l’odorat en prenant un café, passer suffisamment loin des M pour être hors de danger en cas de coup de folie – on sait jamais avec ces machins-là – et enfin, monter les escaliers, puis arriver au bureau de madame la chef suprême. Dernière difficulté : la déranger dans son travail acharné. C’est pas la moindre, mais il a un bon prétexte, c’est pas comme s’il venait juste pour emmerder le monde, hein. Et puis il s’en passerait bien, lui, il a bien entendu quelques rumeurs comme quoi la chef et Araknos, ben voilà quoi… Oui, quelle éloquence, ça fait peur. Il part du principe que Catelyn Jadenoire n’est pas du type à faire de grandes crises d’hystérie – et ce, même si elle était éperdument amoureuse de l’autre mononeuronal – donc il préfère penser qu’il ne risque pas grand-chose. A part se faire envoyer voir ailleurs s’il y est pas déjà. Rien que de très habituel, en somme.

Il a coincé sous son aisselle droite le dossier, histoire de touiller vaguement son café trop chaud tout en s’avançant dans les couloirs. Ca fait maintenant un moment qu’il bosse dans les locaux, il connaît parfaitement les lieux, et se dirige d’un pas tranquille vers le bureau de la Jadenoire sans consulter les panneaux. C’est bon pour les nouveaux, ça, pas pour les Arnaiths habitués de la force d’Angelo ! Comme c’est pas très poli de s’amener dans le bureau d’une dame avec un café sans lui en proposer, il avale d’un trait son gobelet – même si le liquide est brûlant, il en faut plus que ça pour rebuter une panthère – et il laisse tomber le bout de plastique blanc froissé dans une poubelle qui traînait fort à propos dans le coin. D’un coup d’œil rapide il inspecte sa tenue du regard ; jeans sombre, chemise écrue, une veste légère par-dessus, le tout peut-être un peu trop moulant ou décolleté, mais rien de trop provocant. Il lisse vaguement la chemise du revers de la main, décidant que ça ira très bien – de toute manière il a pas de fringues plus sérieuses. Les costards ? Non merci, ça serre à la gorge, et il a horreur de ça, pour les raisons que l’on devine aisément. Il frappe à la porte frappée du nom de Catelyn « pourvu qu’elle soit là », et entre quand il en a l’autorisation.

« Bonjour… Agent Borgia. Je viens pour vous donner le dossier sur Araknos Ariklièm… Manifestement, il est mort. »

Il s’avance jusqu’au bureau d’un pas souple, dépose le mince dossier à la couverture souple sur le bois, yeux noisette humblement baissés au sol – en fait il regarde où il met les pieds. Il ne poussera pas le bouchon à émettre une phrase du genre " je suis désolé " ou " toutes mes condoléances ". C'était un collègue pour lui, un subordonné pour elle, ils savent tous très bien qu'il y a des risques dans l'activité qu'ils ont choisi. Et puis merde, il le pense pas, alors il va pas le dire ! Araknos était juste un gros balourd qu'il n'aimait pas. Angelo relève le regard sur la trop séduisante Catelyn, et ses lèvres s’étirent en un léger sourire. C’est pas très professionnel, mais c’est comme ça, il a envie de sourire à Catelyn, et merde au reste. Il passe une main sur sa nuque, remettant vaguement en place son col de chemise froissé. Il sent son corps tout engourdi, presque endolori de ne pas assez bouger. Son fantasme du moment ? Une mission bien bourrine en extérieur, le genre où il faut traquer et courir en solitaire toute la journée. Un travail de panthère, quoi… Le genre de truc qu’adorait le gros péquenaud qui est mort tiens.

Une journée comme les autres, à éplucher des rapports et à réflechir sur comment réussir à enrayer la menace féline une bonne fois pour toutes. Son dos lui faisait mal à force d'être courbée sur le bureau, sans parler de cette migraine qui lui tenaillait les tempes et rendait sa vue floue. Tous ces rapports qui se suivaient et se ressemblaient. Il y avait eu une attaque là, il y avait eu une altercation ici, il y avait eu des prisonniers qui étaient en cage, il y avait eu des morts... Elle détestait ça. Elle détestait prendre son stylo et écrire ses condoléances aux familles des victimes. Quelques fois, elle appelait, mais c'était pire. Elle n'avait que 24 ans, mais elle avait l'impression d'en avoir 50.

Sans compter qu'elle avait également les M à gérer. Elle avait donné son aval au directeur des recherches pour s'occuper de trouver une parade aux créatures. Et il avait trouvé... Mais à quel prix? Elle avait hésité à signer l'accord qu'il lui réclamait pour passer au stade supérieur : inoculer sa trouvaille à des êtres humains. Un reste de moral et d'éthique l'avaient retenus de signer tout de suite. parce qu'ils avaient déjà joué à Dieu auparavant et que leurs découvertes, leurs créautres s'étaient retournées contre eux. Bien sûr, on lui avait assuré que les M n'étaient pas pareils, plus fidèles, moins réflechis. Mais il existait des erreurs, des mutations, et l'homme ne pouvait pas tout contrôler.

Cependant, la guerre continuait et stagnait et il fallait une solution. Aussi avait-elle fini par doner son accord et les M avaient vu le jour, plus performants, plus forts, plus brutaux. Elle était une habile combattante, elle l'avait déjà prouvé. Elle ne faisait que ça depuis l'âge de 10 ans, elle avait été entraînée pour tuer et diriger. Elle était rapide, souple et astucieuse. Mais elle avait ses limites, elle pouvait se fatiguer, s'écrouler après un mauvais coup. Pas les M. Dieu fasse qu'ils restent toujours sous contrôle...

Elle porta un café à ses lèvres, elle aussi en buvant plus que de raison. Puis, un bruit retentit et elle leva subitement le regard vers la porte. Sa voix claire mais autoritaire résonna, donnant la permission d'entrer. Elle vit alors se faufiler la silhouette bien décuplée d'Angelo. Un imperceptible sourire ourla ses lèvres. Ils ne s'étaient pas reparlés depuis l'autre soir. Millie les avait méchamment interrompu et Catelyn en avait ressenti une rès grande frustration, elle devait bien l'admettre.

Il lui répéta alors la nouvelle et son visage sembla se figer, impassible. Araknos... Mort. Cela lui fit bizarre. Il avait disparu, elle l'avait cru mort, il était réapparu, mais quelque chose s'était cassé entre eux. Non, Catelyn n'était pas du genre à faire des crises de nerfs. Ses nerfs, ils étaient d'acier. Elle se contenta de hocher la tête et se leva. Elle portait une combinaison de cuir, qui, bien évidemment, mettait en valeur sa plastique de rêve. Elle regarda Angelo, se demandant ce qu'il penait, s'il s'attendait à une réaction quelconque de sa part. Eh bien, non, elle lui opposerait une parfaite neutralité.

- "Vous avez des éléments pour affirmer cela agent Borgia?"

Un ton neutre, il n'y avait pas d'espoir dans sa voix, juste une question formelle qu'elle aurait posé pour n'importe qui d'autre. Catelyn était froide et se détachait vite. Elle ne pensa pas à cette nuit sur le canapé, la seule au demeurant. Elle ne pensa pas à leur duscussion sur le pont... Rien. Elle était chef Arnath, elle était de marbre, de glace...

Non, Angelo n’a pas l’audace d’attendre une réaction quelconque – en fait, ses gènes félins espèrent exactement ce que Catelyn est en train de faire. Qu’elle reste impassible, qu’elle soit chef Arnaith, tout ça, bien comme il faut, pas de grandes démonstrations de sentiments et tout ira bien. Mais si elle reste très professionnelle, c’est pas le cas de tout le monde : la panthère est très sérieusement déconcentrée par la combinaison de cuir de Catelyn – il est en train de se demander si c’est du sur-mesure ou pas, là… Il cille, portant les yeux ailleurs – pas bon l’hypnose, pas bon du tout – et répond à la question de sa supérieure, sortant le dossier sur Araknos de dessous son aisselle :

« Un rapport de l’unité qui l’a retrouvé, et celui des médecins… » Et puis des fois qu’elle n’ait pas envie de se taper la lecture complète du dossier, il reprend : « il y a très peu d’erreurs possibles, aucun autre de nos agents n’avait la carrure d’Araknos. Et puis ils avaient son ADN, je crois… »

Et il peut sentir son pouls qui s’accélère à cette déclaration. La prise de l’ADN n’est en aucun cas obligatoire pour entrer chez les Arnaiths – sinon il aurait bien eu du mal à être recruté, lui, l’hybride – et il espère qu’on ne lui demandera jamais une telle chose. Sinon tant pis, il fait une fugue ! Et puis c’est vrai qu’Araknos avait vraiment une silhouette particulière… Angelo s’est toujours considéré comme quelqu’un de grand et musclé, mais à côté d’Araknos, il avait la persistante impression d’être le nain faiblard de la cour de récré. C’est déplaisant au possible quand on est un mâle dominant, il peut vous l’assurer !

Il profite de ce que Catelyn parcoure le dossier pour la détailler, le moins discrètement du monde. Elle a le droit de savoir qu’il la matte, non ? Et puis bon, elle va pas faire l’étonnée non plus… Il se mordille la lèvre inférieure, en se disant qu’il a vraiment d’un tapis en peau de lynx pour son salon. Quelle vilaine petite fille, cette créature alors ! Il croise les bras sur sa poitrine, détournant le regard vers un coin du bureau. Avec la nouvelle de la mort d’Araknos « j’ai un biceps à la place du cerveau et j’en suis fier » Ariklièm, il craint que ça ne soit plus trop à l’ordre du jour, de tels amusements… Mais quand même, cette combinaison ! Sûrement du sur-mesure, oui. Et plein cuir de vachette – son préféré – peut-il affirmer après une très discrète sonde olfactive. Oui, l’effet du café sur son odorat est de plus en plus court, semble-t-il. Et puis sinon, pourquoi il reste planté là alors qu’il a plus rien à dire ? …

Allez savoir pourquoi mais il attend d’être congédié. La perspective de retrouver ses chères pies de secrétaires ne l’enchantent que très moyennement – en plus aujourd’hui, y’en a une qui porte un parfum à la vanille, une vraie horreur. La panthère a perpétuellement l’impression d’avoir les sinus en feu à cause d’elle – mais comment lui dire gentiment d’essayer de ne sentir que le dentifrice, et encore pas trop à la menthe parce que ça pique les yeux ? Angelo est un goujat avec les femmes qu’il n’aime pas en règle générale, mais y’a même des limites à ça… Et puis c’est pas comme si on était mal, dans le bureau de la chef ! Les yeux noisette regardent très synthétiquement les papiers étalés sur le bureau de Catelyn. Des paperasses, on s’y noierait – il se doute bien de leur contenu, parfois il est chargé de lui apporter. Oui, il est agent d’extérieur et des fois il fait coursier dans le bâtiment, ça pointe la super organisation Arnaith. Un de ces jours, il va retrouver un M dans son service de secrétaire, Angelo en est sûr. Il relève les yeux sur ceux de Catelyn, interrogatif.

« Vous avez quelque chose d’autre à me demander ? » Il est Arnaith, mais il est manifestement ni de marbre, ni de glace, lui. Aucun professionnalisme cette panthère !

La jeune femme hocha simplement la tête aux explications succintes d'Angelo. Pas envie de se taper le rapport, elle en a la vue qui se brouille de toutes ces lectures fastidieuses. Elle est une femme d'action, de terrain, pas une secrétaire! Ainsi donc, il y avait peu de doutes possible. Très bien. Autant faire son deuil maintenant. Elle reprit d'une voix froide :

- "Ce sont les risques du métier, tous les agents le savent."

La guerre entre créatures et humains ne pouvait pas se faire sans morts. Elle les déplorait, mais c'était ainsi. En tout temps il y avait eu des guerres et des morts, les soldats étaient payés pour se battre et mourir. Mais pas les civils. Elle essayait au maximum de préserver les civils, de ne pas les mêler à cela, mais force était de constater qu'elle n'y parvenait pas toujours. Comme avec l'attentat de l'école... Un coup dur. Elle soupira et se passa une main dans les cheveux.

- "Au moins, je n'aurais pas besoin de téléphoner à sa famille et d'apprendre la nouvelle à une femme éplorée ou des enfants hystériques."

Elle se saisit pourtant du dossier et 'louvrit, le parcourant rapidement du regard, sentant le regard d'Angelo sur elle. Elle attirait toujours les regards de toute façon. Inutile de jouer les fausses modestes, elle était belle et elle en jouait. Elle semblait perdue dans ses réflexions quand la voix d'Angelo lui rappela qu'il était toujous là. Sa façon de poser cette question la surprit quelque peu et elle répliqua avec une pointe d'amusement :

- "Et que pourrais-je bien attendre d'autre de vous?"

Elle sourit et posa le dossier sur le bureau, s'apprchant d'Angelo, le fixant de ses yeux d'ambre.

- "Vous voulez peut-être reprendre son post et quitter les bureaux?"

Un sourire amusé prend place sur ses lèvres fines quand Catelyn fait allusion à l’éventuelle veuve éplorée et enfants en deuil d’Araknos. Ca paraît hautement improbable, c’est vrai, et c’est ce qui la rend si amusante aux yeux de l’agent Borgia, qui retient un petit gloussement qui, pour le coup n’est vraiment pas professionnel. Il est dans le bureau de la chef en chef, pour ainsi dire, pas de n’importe quel bureaucrate venu… Alors on va calmer sa joie et passer pour quelqu’un de sérieux. Attendre quoi d’autre de lui ? Hé, c’est limite vexant vu comme elle énonce ça… Elle le croit incapable, peut-être ? Il a pourtant la bonne idée de ne pas prendre une attitude vexée, et de répliquer avec un sourire opaque, les yeux à l’expression masquée par ses lentilles de couleur :

« Oh mais je suis multi-fonctions, comme Arnaith. J’apporte même les dossiers, alors vous voyez… »

Vrai qu’à la base il est agent d’extérieur comme on dit dans le jargon, mais que ça fait bien trois semaines qu’on ne l’a pas envoyé en mission. Il le ressent très fortement dans ses nerfs tendus à se rompre et dans ses muscles frémissants d’énergie trop contenue, mais est encore trop neuf pour pouvoir ouvrir sa gueule et se plaindre ouvertement… Dommage, bien dommage. Il cille en voyant la belle Arnaith s’approcher de lui, arquant poliment un sourcil – étonnement ? invitation ? impossible à savoir avec ces merdiers de lentilles – et son sourire s’agrandit, prenant une expression pointue. Pointue comme un clou, même.

« Reprendre son poste me tente assez moyennement. Sa situation était très critiquée parmi les Arnaith – trop indépendant, paraît-il, et il ne rendait que rarement des rapports cohérents. Je ne suis pas sûr qu’on pourrait de nouveau placer un agent dans sa situation… Même avec votre appui. »

Puis il se redresse un peu, prend un air légèrement ennuyé, moue boudeuse et limite enfantine aux lèvres.

« Et puis avec la nouvelle section M, je crains que les missions en extérieurs disponibles pour les agents normaux ne se réduisent très rapidement. »

Voilà qui l’ennuie assez, mais avec l’ADN pour moitié panthère qu’il traîne, il ne va certainement pas demander à devenir un M – ah ça, non, ça risque pas. Il coule un regard en coin à Catelyn, lui faisant un sourire de traviole. Bordel, ce qu’elle est allumeuse !