Sous l'orage...

Algol entra sans se poser de questions dans le jeu de Casey et il posa une main ferme sur la petite épaule:

"C'est bien bonhomme, c'est vraiment très bien. Je suis très fier de toi."

Le sous-chef regarda alors par le soupirail pour constater que la pluie s'arrêtait. Le félin en ressentit une déception étonnemment vivace: il avait tellement l'impression que cet abri providentiel était devenu un petit havre de paix pour lui et Casey, une parenthèse dans la guerre et la souffrance, qu'y mettre un terme lui paraissait infiniement douloureux. Désireux de mettre à profit les quelques minutes qui leur restaient, Algol se rassit conte le mur tout en faisant signe à Casey de venir retrouver sa place près de lui.

"L'orage va bientôt s'arrêter, tu vas pouvoir aller faire tes courses. Promis, je t'accompagnerai jusqu'à ta rue, d'accord? Mais pas plus loin, on s'est bien compris."

Il laissa passer quelques secondes, avant de demander sur une impulsion subite:

"Dis-moi Casey, je sais que je t'ai expliqué tout un tas de choses plutôt compliquées avec ces histoires de collier... Tu as bien compris pourquoi je ne pouvais pas venir dire à ton maître pourquoi tu es en retard?"

Casey afficha une expression de bien-heureux lorsqu'Algol le félicitait d'un ton solennel, et émit un ronron de contentement, dressant ses oreilles avec faisant onduler lentement, comme un serpent couleur de sable, sa queue préhensible.
Tandis que son aîné levait les yeux vers le soupirail pour constater que la pluie s'arrêtait, le petit garçon se mit en position quadrupède et s'étira comme tout bon félin qu'il était en émettant un léger baillement. Poussant de sourds ronronnements, le Chaton trottina tranquillement sur le sol poussiéreux, son petit air curieux et craintif scrutant avec attention les recoins sombres de la cave. Il posa son regard sur Algol, qui à cet instant même venait de se s'adosser contre le mur, avant de l'inviter à le rejoindre d'un signe de main explicite. Un grand sourire illumina le visage poupin de la créature, alors qu'elle galopait avec entrain vers son aîné pour se jeter presque dans son giron avec force de ronron affectueux. Casey se tortilla un bref moment pour retrouver la meilleure position, c'est à dire dos contre le torse d'Algol. Il pouvait sentir la poitrine de ce dernier se soulever à un rythme régulier, et il s'amusa à réguler sa propre respiration sur la sienne. Mais le blondinet se lassa de son petit jeu dès qu'Algol prit la parole.
Une petite moue enfantine se dessina sur les lèvres roses de l'enfant. Bien sûr, il était très content que Monsieur Algol l'accompagne pour faire ses courses, et qu'il le ramène à la maison de son maître même si ce n'était que jusqu'au coin de la rue...mais il aurait vraiment voulut rester encore avec lui!
Il haussa le menton pour aperçevoir en contre-plongée le visage du beau léopard, puis éleva ses petites mains blanches par-dessus sa tête pour qu'elles viennent toucher doucement, presque timidement, les joues d'une liliale blancheur d'Algol, alors que celui-ci lui posait déjà une question subite, à laquelle le chaton répondit aussitôt avec un sourire naïf:

"Heu vi, vi! -^.^- C'est parc'que Monsieur Shift et toi vous êtes fâchés à cause de ton collier qu'est cassé! Et que Monsieur Shift il fait un peu peur quand il est fâché!"

Le petit chat gloussa légèrement, en imaginant Monsieur Shift sortir son jouet noir vers Algol en hurlant son nom, comme il le faisait avec lui presque à chaque fois qu'ils se croisaient dans la maison. C'était une scène dont il ne comprenait absolument pas le danger mortel, et qui au contraire l'amusait et le surprenait énormément.

Algol rit doucement au résumé du chaton, tandis que celui-ci s'absorbait dans l'examen du visage glabre du léopard des neiges. Il laissa les petits doigts courir le long de sa joue avec un demi-sourire, intrigué par ce que Casey pouvait bien trouver de si exceptionnel à sa figure. Lorsque la main du garçon alla s'intéresser à l'épaisse tignasse d'Algol qui évoquait de la fourrure dès qu'on la touchait, le sous-chef se dégagea avec un léger grognement de gros félin un peu fatigué par les galipettes du lionceau qui lui court sur le dos depuis une heure.

"Allez, sois gentil maintenant, laisse tes pattes là où elles doivent rester."

Ses doigts de pianiste se refermèrent autour des petites mains et les obligèrent doucement à redescendre au niveau des coudes de leur propriétaire. Mais dès qu'il les relâcha, elles retournèrent se promener sur le tissu de son gilet, qui plaisait visiblement beaucoup à Casey. Algol renonça à protester: le chaton semblait incapable de tenir en place.

"Fais-moi plaisir bonhomme, retiens que ton maître et moi sommes très fâchés et qu'il n'aime pas les gens comme moi."

Il s'interrompit, embarrassé. Comment expliquer convenablement les choses à cette petite créature naïve, pour qui le mal n'existait pas et où la méchanceté n'était qu'une conséquence de ses propres bêtises? Le sous-chef attrapa doucement Casey par les épaules pour le mettre debout, face à lui afin de pouvoir le regarder bien dans les yeux.

"Ce que je veux dire, c'est que tu ne dois pas dire à monsieur Shift que tu as passé l'orage avec moi, sinon il sera très en colère contre toi. Tu n'as rien fait de mal, mais c'est comme ça, les adultes sont parfois dûrs à comprendre. Bien sûr qu'il va se fâcher en te voyant arriver en retard, mais moins que s'il sait que tu étais avec moi, tu comprends? Tu ne dois jamais lui parler de moi, jamais dire mon nom, sinon monsieur Shift va se mettre en colère contre toi et ça je ne le veux pas, d'accord?"

Puis il ajouta avec un petit sourire:

"Tu es tellement gentil, mon pauvre Casey... J'espère vraiment que tu réussiras à rester comme ça. Tu n'as pas de maman ou de papa qui s'occupent de toi chez monsieur Shift?"

Le sujet était risqué, mais il touchait beaucoup Algol et il aurait bien aimé avoir le point de vue de Casey sur ce sujet. Le sous-chef lui-même n'avait jamais connu son père (et pour cause, il était né d'une suite de manipulations in vitro), et il n'était même pas sûr d'être lié génétiquement à celle qui l'avait mis au monde. Une créature dont on l'avait de toute façon séparé trop tôt pour qu'il s'en souvînt. Peut-être que c'était en partie pour cela qu'il aimait qu'Ophélie le traitât de manière un peu puérile, et qu'en cet instant il appréciait les jeux désintéressés de Casey. Confusément, il devait espérer que la chaton pourrait lui parler de ses parents, à lui qui n'en avait jamais vraiment eu.

Casey émit un léger ronron dépité en voyant Algol repousser ses menottes de son visage, mais se consola bien vite en palpant avec son intérêt inébranlable la douce texture de son gilet. Un sourire de bienheureux flottait sur les lèvres roses du garçonnet, alors qu'il prêtait une oreille distraite aux paroles d'Algol. Vi vi, Monsieur Shift et Monsieur Algol s'aimaient pas. C'était très dommage d'ailleurs. Il les aimait autant l'un que l'autre!

Lorsqu'il sentit les mains de son aîné le saisir doucement par les épaules pour le redresser, le Chaton fit mine de protester mais se tint tout de même face à lui, dévorant literralement le visage d'Algol de ses immenses yeux couleur soleil. Il voulait bien toucher ses cheveux... mais comme Monsieur Algol commençait à parler, il réprima son envie et l'écouta comme le parfait petit élève qu'il était, affichant une adorable moue concentrée et qui se voulait sérieuse, sans vraiment y parvenir. Le Sous-chef se remit à parler de son maître, et Casey agita pensivement ses oreilles effilées en abaissant ses paupières ourlées de cils blonds sur son regard. Ne pas parler de Monsieur Algol à son maître? Ooooh. Bon, d'accord...
Casey opina du chef énergiquement, puis répondit au sourire que lui adressait le léopard.
Sourire qui s'effaca sensiblement lorsqu'il aborda la question de ses "parents", laissant place à une mine surprise et perlexe.
Il ouvrit la bouche, la referma, et répéta ce geste quelques instants comme s'il avait du mal à formuler sa réponse.
Ses parents...?
Il avait une vague notion de ce que c'était, parce qu'il voyait parfois les petits enfants sortir de l'école accompagnés de deux adultes qu'ils appelaient "papa" et "maman". Mais lui, il n'appelait personne comme ça...il se figurait que Monsieur Shift était sa "maman" et son "papa" en même temps, donc qu'il devait l'appeler "maître", et il en était très heureux; sans jamais comprendre ce que tout ça impliquait.
Les six premières années de sa vie, lorsqu'il vivait dans la forêt, avec sa mère, s'étaient égarées dans son esprit jeune, et il n'en gardait absolument aucun souvenir, si ce n'était l'angoisse que lui inspirait le sang. Il n'avait jamais vus son père, et sa mère, il l'avait oubliée. Il ne restait plus que Monsieur Stanford, et maintenant, Monsieur Shift.

Casey cessa d'imiter un poisson sortit de l'eau, et papillona de ses yeux félins avant de faire d'une voix fluette, tout en arborant une mine naïve et perlexe:

"Euuuuuuh... é,ê Nan nan, y'a que Monsieur Shift! Pourquoiii? "

[DSSLLLLLLL pr le retaaaaard! TToTT]

[t'es impardonnable... je boude... >.>]


Le sourire d'Algol se teinta d'une certaine mélancolie:

"Pour rien bonhomme, pour rien."

Puis le félin releva la tête pour jeter un coup d'oeil au-dehors. Le petit morceau de ciel qu'il apercevait à travers le soupirail prenait une teinte crémeuse qui annonçait la fin des nuages orageux, et la pluie n'était plus que goutelettes étincelantes le long des murs. Le sous-chef repoussa doucement le chaton avant de se relever. Il garda le silence le temps d'épousseter son costume. Puis il baissa les yeux sur la petite créature et se força à sourire:

"Voilà, il va falloir y aller. Ne fais pas cette tête, je ne pars pas tout de suite, je t'ai dit que je t'accompagnais."

De la sincérité passa dans le rictus du léopard des neiges, avant que celui-ci ne tournât le dos à Casey pour se hisser hors de la cave. Le pavé de la ruelle brillait sous les quelques rayons de soleil qui perçaient les nuages, et l'air semblait plus pur, plus agréable à inspirer qu'avant l'orage. Toute la lourdeur de cet fin d'après-midi s'était évanouie, et l'atmosphère était une véritable invitation à la promenade. Toujours accroupi, Algol pivota sur ses talons en prenant soin de ne pas s'agenouiller pour ne pas tacher son pantalon clair. Il passa la tête par le soupirail et tendit les bras vers Casey:

"Viens, je vais t'aider à monter."

Ses mains passèrent sous les bras du chaton et le hissèrent sans la moindre peine vers la sortie, en faisant attention de ne pas lui cogner la tête au passage du soupirail. Casey avait l'air si dépité qu'il en devenait presque comique. Algol sentit un sourire espiègle se graver sur ses lèvres, et sur une impulsion subite il continua son mouvement pour soulever la petite créature jusqu'à pouvoir l'asseoir sur ses épaules. Puis il se releva en tenant les jambes de Casey, même si le côté félin de celui-ci le garantissait d'une chute.

"A moins que tu ne sois pas bien là-haut, on peut aller jusqu'à l'épicerie dont je t'ai parlée. Je suis sûre que la dame qui s'en occupe va t'adorer. Alors, une objection?"

[TT____TT]

Casey considéra un long moment le visage d'Algol, se demandant pourquoi il avait l'air triste. Mais il n'eut pas le loisir d'approfondir sa cogitation, car le léopard venait de le repousser pour se lever, avant d'épousseter son joli vêtement, si doux au toucher.
Le Chaton resta durant ce court laps de temps assis par terre, l'air particulièrement naïf tandis qu'il regardait oeuvrer son aîné, immobile, ses petites jambes nues étendues devant lui et les bras ballants, mais agitant de temps à autre, presque inconsciemment, une de ses oreilles effilées et velues.

Le petit bonhomme étira un large sourire enfantin en réponse à celui d'Algol, chassant bien vite la furtive crainte d'être laissé seul dans la rue dès qu'ils serraient sortis.

"Yipiii!"

Sur cette petite exclamation joyeuse, le chaton se leva d'un bond et se posta au pied du mur pour observer avec toute l'attention du monde le beau léopard grimper agilement et se glisser dans le soupirail.
Une fois qu'Algol libéra le passage, le petit blond trotinna vers le soupirail, ayant la ferme intention de grimper lui-même, comme un grand. Sauf qu'un problème s'imposait dès le premier essai: il était bien trop petit pour atteindre, même en bondissant le rebord du soupirail, sans se faire mal.
Les paroles du sous-chef, puis les mains tendues vers lui firent naître une frustration passagère. Pourquoi il pouvait pas monter comme Monsieur Algol? Pas juuuuste! Ce sentiment fut clairement exprimé par une moue boudeuse et dépitée sur le visage poupin de l'enfant, alors que son aîné l'extirpait déjà de la cave.
Il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche pour se plaindre qu'il décolait du sol pavé pour se retrouver sur les épaules d'Algol. La suprise dessina un "o" parfait de ses yeux et sa bouche, alors qu'il posait instinctivement ses mains sur la tête de son porteur, de peur de basculer en arrière.
Lorsque le sous-chef reprit la parole, Casey détendit ses muscles et prit même plaisir à regarder la ruelle sous un angle bien plus avantageux.
Le Chaton battit des cils et étira un immense sourire en répondant d'une voix claironnante, encadrant tendrement la tête d'Algol de ses petites mains:

"Nan Naaaaaaannnn!!! Pas d'ojexiooooon! XD"

Casey, visiblement ravi de sa position actuelle, se plongea dans une expertise silencieuse de la chevelure noire et fluide d'Algol, y glissant ses doigts avec un sourire de bienheureux en miaulant de petits commentaires ponctués de rires cristallins, du genre "Casey est plus grand que Monsieur Algooool!" ou "Ses cheveux ont une couleur de réglisse XD! Et pis ils sentent tout bon!".

[*continue à bouder* >.> ]


Une fugitive grimace de douleur passa sur les traits d'Algol, qui râla de son ton de vieux grincheux:

"Eh, ce sont mes cheveux, ça, ne tire pas dessus comme un sauvage! Non mais... Et puis ça ne se mange pas, même si c'est couleur réglisse!"

Casey avait l'air assez âgé pour savoir qu'on ne mangeait pas les cheveux d'autrui, mais depuis quelques minutes Algol commençait à en douter. Il lâcha un soupir excédé tandis que le chaton continuait son festival sur ses épaules: quelle idée il avait encore eue... Mais bon, le gamin paraissait vraiment heureux sur ce perchoir improvisé, et malgré les tiraillements capillaires, le sous-chef devait admettre qu'il aimait faire plaisir à Casey. Alors il prit sur lui et sortit de la ruelle, en prenant garde de laisser son collier bien en évidence. Il n'avait pas envie qu'un Arnaith zêlé l'obligeât à sortir les griffes devant Casey.

Il ne se passa qu'une dizaine de minutes avant que la devanture de la petite épicerie ne se présentât à eux. La femme que connaissait Algol balayait le pas de sa porte pour en ôter l'eau que l'orage y avait accumulée, et un sourire bienveillant illumina son visage rebondi lorsqu'elle reconnut le félin. Elle posa son balai pour serrer la main de pianiste du sous-chef, qui malgré son air joyeux souffrit atrocement de sentir ses métacarpes broyés de la sorte.

"Ca alors, monsieur Algol! Ca faisait longtemps que je ne vous avais pas vu dans le coin! Remarque, je comprends que vous soyez prudent, quand on voit tous ces cinglés de la gâchette qui traînent dans les rues en ce moment... ils sont plus dangereux que les créatures, moi je vous dis!"

Puis elle leva son regard clair vers Casey pour lui adresser un sourire encore plus gigantesque, accompagné d'une caresse qui ébouriffa les cheveux blonds autrement plus violemment que les taquineries d'Algol:

"Salut mon bonhomme! Contente de te rencontrer, c'est quoi ton petit nom?"

Elle attendit la réponse avant de dire à Algol d'un ton de reproche:

"Vous ne devriez pas laisser ce gamin habillé comme ça, il va prendre froid, c'est sûr!"

"Oui oui, je sais madame Baussano..."

Le sous-chef avait enfin réussi à prendre la parole et il continua donc sur sa lancée tout en faisant descendre le chaton de son perchoir:

"Casey a eu un petit problème avec un pickpocket et il n'a plus d'argent pour faire les courses que son maître lui a imposées. J'ai pensé que vous accepteriez de lui faire crédit le temps que je vous rembou..."

"Mais bien sûr, vous pensez, cet adorable gamin... Quelle brute a pu s'attaquer à un si gentil petit garçon que toi, hein Casey? Oh, c'est ce méchant bonhomme qui t'a fait mal à la main? Pauvre pauvre petit! Vas-y, mon magasin est ouvert. Quand même, ça devient vraiment n'importe quoi, vous ne trouvez pas monsieur Algol? Je ne sais pas où on va avec ces histoires, mais..."

Tout en hochant calmement la tête, Algol fit signe au chaton d'entrer dans l'épicerie pour chercher ce qu'il lui fallait: il allait faire diversion et retenir la commère aussi longtemps qu'il le pourrait... mission hautement éprouvante... Pourquoi donc le ciel l'avait-il puni avec une ouïe aussi sensible? T-T

[Nieuuuh T__T *yeux mouillés* pitiiiié! (mais aussi ptdr, je me suis bien marrée à lire ta réponse XD c génial!)]

Le rire gamin de Casey enfla sous la réprimande d'Algol, se répondant entre les murs encores humides de la ruelles parisiennes qu'ils arpentaient.
Il enfouit son petit nez dans la chevelure d'ébène pour en humer leur léger parfum, un sourire ravi accroché aux lèvres. C'était bien la première qu'il grimpait sur les épaules de quelqu'un, et il trouvait ça terriblement exaltant. Est-ce que Monsieur Shift accepterait de le prendre comme ça? Il lui demanderait, un de ces jours! Il doutait un peu que sa réponse soit positive, mais il comptait bien essayer.
Toujours aussi insouciant, Casey continua de tripoter allègrement les cheveux, et tout autre attribut d'Algol étant à portée de menottes dans un concert de petits rires et de commentaires aussi étrange que bien enfantins.

Au bout d'une dizaine de minutes, sa "monture" s'arrêta devant une épicerie où une bonne femme passait le balai. Casey, qui était en train d'essayer de reproduire la chanson qu'il avait entendu de la bouche son Maître quelques jours plus tôt, s'interrompit en plein dans son massacre de la langue anglaise, et dressa ses oreilles, comme surpris. Le petit blond pencha la tête vers Algol, sans parvenir bien entendu à croiser son regard, puis le retourna vers la femme que le sous-chef venait d'accoster. Il les regarda depuis son perchoir se serrer la main, avant que l'attention de l'épicière ne se porte sur lui.
La petite créature étira un immense sourire, qui se mua en gloussement lorsqu'une main énergique vint lui ébourrifer les cheveux. Il s'empressa de lui répondre d'une voix enthousiaste, et pour bien faire, abattit en cadence ses petites mains sur le crâne d'Algol convertit en tambour pour l'occasion:

"Je m'appelle Casey, Madame ^o^ !"

La femme reprit presque immédiatement sa conversation, ou plutôt son monologue avec Algol tandis que ce dernier faisait descendre le Chaton de ses épaules, lequel afficha une moue dépitée qui fut vite effacée par sa bonne humeur naturelle.
Ayant retrouvé contre son gré le plancher des vaches, le petit garçon observa tour à tour les deux adultes parler de lui, du Monsieur qui avait prit ses sous et autres choses qu'il ne parvenait pas à saisir. Quelles histoires...? Ce ne fut que le signe d'Algol qui le tira de sa brève interrogation, et presque aussitôt Casey bondit joyeusement à l'intérieur de l'épicerie, dont l'atmosphère chaleureuse et remplie d'odeurs agréables lui redonnèrent un peu plus de pêche, si la chose était encore possible.
Il devait se rappeler de la liste de courses qu'il avait établie à la maison...ce qui était une excellente chose pour lui, c'est que dès qu'il s'agissait de la maintenance de la maison de son maître, sa mémoire s'en trouvait remarquable.
Alors...il y avait un filet d'oignons, de la viande, des pommes et une laitue...sans oublier les oeufs...
La petite créature se mit en chantonnant à la recherche de tout cela, perçevant clairement le flot inimterrompu de paroles de la gérante de l'épicerie, qui paraissait être très contente de parler avec Algol.

[oh ça je m'en doutais, à chaque fois qu'Algol souffre ça te fait rire... XD mais chacun à son tour, je vais me venger ^w^]

"Quand je vous disais que je préfère encore une gentille créature comme vous à ces brutes d'Arnaiths! Oh, ça me rappelle que je discutais encore l'autre jour avec madame Messas, je sais que vous ne la connaissez pas mais vous ne perdez rien, c'est une vilaine femme! Mais bon, il faut bien se tenir au courant, n'est-ce pas? Les journaux ça ne vaux plus rien, tout juste bon à se torcher avec, si vous me permettez. Toutes ces bêtises que les humains racontent sur les gens comme vous, et les bêtises que les gens comme vous racontent sur les humains... Oh ne le prenez pas mal monsieur Algol, vous vous êtes différent, un jeune monsieur distingué comme on n'en fait plus. A propos, permettez-moi de vous dire que je trouve votre fils adorable. Ah, les enfants ça transforme le quotidien, ça..."

"STOOOOOOOOP!"

La volubile madame Maussano s'interrompit en examinant avec stupeur les mains blanches qu'Algol venait de relever face à son visage joufflu. Il désespérait de trouver un moyen plus "jeune monsieur distingué" d'arrêter cette avalanche de paroles qui se déversait sur sa pauvre tête, et dans laquelle son oreille malmenée avait intercepté une phrase pour le moins... surprenante.

"Qu'avez-vous dit à propos de Casey?"

"Que c'était un petit garçon charmant."

"Non, à l'instant."

"Oh, taquin que vous êtes, si vous croyez que je prends en note tout ce que je dis sur votre gamin! Vous savez, vous ne devriez pas prêter tant d'attention à l'avis des autres, c'est..."

"J'en étais sûr, vous avez dit "votre" gamin."

"Et alors?"

Algol tendit un bras éloquent vers la vitrine, à travers laquelle on pouvait voir la petite créature blonde arpenter attentivement les rayons de l'épicerie.

"Ce n'est pas du tout mon fils, je... avec qui est-ce que j'aurais pu..."

Sa voix mourut dans sa gorge et un silence étrange de contraste avec les secondes précédentes s'installa entre lui et la gérante de l'épicerie. Elle avait connu Ophélie, et même si elle ne savait rien des détails les plus graves de sa mort (par exemple, qui était cette mystérieuse créature qui avait décimé les invités), elle était au courant des principaux. Un sourire compatissant vint orner la figure généreuse de l'humaine, tandis qu'elle disait d'une voix étrangement douce et posée:

"Vous ne devriez pas gâcher votre vie de la sorte. Cela fait longtemps maintenant, vous êtes encore jeune... Trouvez-vous quelqu'un monsieur Algol, vous en avez besoin. Vous ne vous êtes pas vu avec ce garçon sur les épaules... vous êtes fait pour ça, et ce gamin vous adore, ce serait bête de passer à côté de..."

Et voilà que, comble de l'anormalité, elle venait de s'interrompre d'elle-même pour fixer un point derrière l'épaule d'Algol. Une barre horizontale vint briser la rondeur du visage de la femme alors que le sous-chef tournait la tête, les cheveux du bas de sa nuque instinctivement hérissés. Un autre humain s'approchait d'eux à grands pas assurés, un homme immense qui devait bien faire deux têtes de plus que le léopard des neiges et au moins le double de sa corpulence. Il était vêtu de vêtements de cuir clouté du plus mauvais goût, un rictus supérieur gravé en permanence sur sa face rectangulaire. Dès le premier regard, dès la première bouffée d'odeur, il déplut à Algol.

L'humain, qui sentait le musc et le tabac, passa à côté de la gérante de l'épicerie avec un signe de tête presque poli, sans oublier de légèrement bousculer la créature en passant. Qu'avait-il à craindre d'un mutant ligoté par un simple collier? Algol serra les crocs et laissa passer le mastodonte, qui pénétra dans l'épicerie avec l'intention manifeste de se procurer de quoi remplir sa vaste panse. Le sous-chef ne put s'empêcher de noter qu'il avait un nombre un peu trop élevé de portefeuilles dans ses poches arrières: un élégant, gris en cuir, un plus vieux et élimé, et même un petit porte-monnaie du genre de ceux qu'on confie aux enfants qu'on envoie faire les courses...